Musicales du Luberon 4 août « QUINTETTES AVEC PIANO »
Programme :
César Franck Quintette pour piano en fa mineur
Dimitri Chostakovitch Quintette avec piano en sol mineur, op. 57
Chostakovitch à l’épreuve d’Ipsos
Thématique bien venue….A la suite des quintettes à cordes et piano d’Anton Dvorak et de Johannes Brahms, version 2015, voici ceux de César Franck et de Dimitri Chostakovitch.
A l’issue de ce concert, profitant de la disponibilité de quelques auditeurs retenus par une soudaine ondée, j’ai poursuivi un interrogatoire commencé sur le parvis de l’église Saint-Luc avant les trois coups.
Ces impressions spontanées, sans aucune valeur sondagiére, sont néanmoins instructives.
Si la majorité des mélomanes interrogés dit son enthousiasme pour la qualité des interprétations, le charisme des musiciens, l’acoustique de cet auditorium consacré, d’autres avouent avoir eu quelques a priori d’avant écoute, la musique de Chostakovitch étant classée « contemporaine. » Il est vrai que cette œuvre, malgré son écriture entièrement tonale, d’inspiration (post) romantique, peut rebuter par sa complexité et ses épisodes « dissonants. » .
Mais convaincus par la formidable éloquence du quintette Malibran, certains se dirent heureux de la découverte d’un compositeur (du moins dans cette œuvre) accessible au plus grand nombre. Côté « programmateur», voici un motif de fierté. Mission didactique accomplie. La musique « classique » ne s’arrête pas à Debussy pas plus que celle « de notre temps » ne se réduit aux œuvres de Boulez. Provoquer la curiosité musicale : un sacerdoce peut-être, un devoir certainement.
Le Quintette Malibran, envoûtant
Tatiana Samouil, Aki Soulière, violons, Tony Nys, alto, Justus Grimm, violoncelle, fondent en 2008 le quatuor Malibran du nom de la célébrissime diva du début du 19 éme siècle, sœur de Pauline Viardot, cantatrice mythique. Cet ensemble bénéficie de la présence d’Irina Lankova, pianiste quand l’effectif le nécessite.
A cet ensemble, les Musicales du Luberon, doivent l’événement le plus réussi de cette édition 2016.
La musique comme catharsis ?
César Franck incarne le modèle absolu du créateur de la fin du 19 éme siècle, probe, digne, altruiste, un rien compassé, garant des traditions nationales. Autant de vertus qui contrastent violemment avec son quintette, « hors cadre » traversé par des longues houles sonores et une tension émotionnelle sidérante provoquant une manière d’apnée auditive.
Il se dit que le titulaire des orgues de Sainte-Clotilde, éprouvant les souffrances liées à une désillusion sentimentale, composa ce quintette. Il en serait donc l’illustration.
Faut ‘il que celle-ci fut dévastatrice pour désinhiber un César Franck de nature empesée et convenue. Au sujet de ce quintette, ce mot de Debussy, pour une fois, pas acide : « Du paroxysme tout le temps. »
Freud qui ne s’intéressait pas à la musique (*) aurait cependant approuvé cet art comme « libérateur de parole. » Question ? César Franck se serait-il allongé ?
Franck, un homme « hors de lui »
Il est rare qu’une œuvre, à ses toutes premières mesures, dramatiques, passionnées, à la limite de la saturation sonore, se jette à corps perdu dans le vif de son sujet. Hormis un piano parfois un peu submergé par les cordes, malgré la véhémence et l’exacerbation des propos, la cohérence et l’intelligibilité de cet ensemble fut exemplaire.
Un des effets hypnotiques du quintette de Franck tient à un procédé de composition qui sera sa signature : la forme cyclique dont l’équivalent se retrouve chez Wagner et ses leitmotive, chez Liszt avec ses modifications thématiques ou chez Berlioz avec ses « idées fixes » Ces répétitions de cellule, parfois subliminales, ont pour effet d’homogénéiser les composantes du récit, et certainement, de susciter une écoute insinuante (la fameuse sonate en la majeur de ce point de vue est irrésistible). La noirceur de la partition de Franck, « un combat contre les ombres » (Jean Gallois)
Chostakovitch en proie à ses démons
S’agissant de Chostakovitch, au risque d’être accusé de divagation, le mot de catharsis me revient à l’esprit. Si la musique depuis la nuit des temps à servi d’exutoire à de nombreux compositeurs, le musicien soviétique, plus que tout autre, semble nous prendre à témoin de ses terribles tourments et de sa terreur de tomber sous les balles du tyran.
(La mort résout tous les problèmes : pas d’hommes, pas de problèmes) Joseph Staline
Une musique presque « verbale » tant elle est expressive. Ce quintette, de conception particulièrement composite, fait entendre des inspirations baroques, classiques, romantiques, des accents russes et occidentaux, des insinuations populaires…tout en maintenant une parfaite cohésion.
Le grain sonore des archets, si dense, si âpre parfois, converse avec un piano aux contrastes saisissant, accents rageurs d’une part et douces effusions de l’autre. Concentrés parfois en une seule phrase, on y perçoit des aveux tristes, mélancoliques mais aussi d’autres, exubérants et euphoriques. Désolation, contemplation, puis soudain, éclats d’espoir…la musique de Chostakovitch, malgré le joug et la menace, est la plus libre qui soit.
Passionnant : Schönberg et le temps de l’inconscient http://revues.mshparisnord.org/filigrane/pdf/194.pdf
Allusif à divers degrés, sarcastique, parfois dissonant, ce quintette témoigne des obsessions parfois paranoïaques de Chostakovitch. Ses pires ennemis, les « Ubu-rois » du Kremlin seront in fine, rejetés dans le cloaque de l’histoire et l’œuvre monumentale de Chostakovitch sera promise à l’immortalité. Morale sauve. Tout au long de ces deux œuvres, les Malibran se seront dévolus corps et âme à creuser et restituer le substrat de celles-ci, au prix d’une intense concentration, d’un total engagement.
Ne pas réinviter cet ensemble en 2017 serait une faute morale. Pétition en cours.
Chronique Littéraire et musicale.
Julian Barnes Le Fracas du temps
Avril 2016
Mercure de France 208 p.
On n’attendait pas le romancier britannique Julian Barnes, auteur de l’admirable Perroquet de Flaubert (Prix Médicis 1996) biographe de Dmitri Chostakovitch.
Lu avec avidité, à la veille de l’exécution de son Quintette op.57 par le quatuor Malibran, cet ouvrage tombe à point nommé. Cette chronique s’attache à relater les épisodes majeurs de la vie du compositeur au temps de Staline jusqu’au règne de Brejnev.
Réalisme saisissant.
© Easyclassic - 05/08/2016
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