Festival de La Roque d’Anthéron Récital de Nikolaï Lugansky
Les limites de la beauté.
Les mélomanes de la Roque l’affirment…la voix de Nikolaï Lugansky est reconnaissable entre toutes, comme celles d’une Callas ou d’un Pavarotti.
Voici des années que ce pianiste, fidèle à ce festival, festival auquel il doit une grande part de sa notoriété, affirme sa maturation et son aisance dans des répertoires élargis, bien au-delà de son attachement pour Chopin et Rachmaninov.
Mais on revient fatalement à ses premières amours et le programme 2010 de Nikolaï Lugansky est dédié à ses compositeurs fétiches. Evoquer cet artiste que nous avons vu s’affirmer d’année en année, c’est accoler à son nom ce qui le qualifie sans l’ombre d’un doute : un toucher d’une beauté confondante, une sonorité d’une pureté incomparable, la merveilleuse harmonie de la conduite de son discours et ses phrasés larges et aérés. Lugansky n’a jamais cherché à se distinguer par des interprétations « originales.» Ses Chopin, très « classiques » ne penchent ni ne s’épanchent côté Mozart ni Beethoven. Et c’est ainsi que, tel un ruban de soie qui se déroule, passeront Nocturnes, Fantaisie, Prélude, Scherzo…La finition est impeccable, la hauteur de vue signe le pianiste de très grande classe. En habit noir, queue de pie et nœud papillon, silhouette svelte et coiffure impeccable, Nikolaï Lugansky répond aux ovations par un sourire à peine esquissé.
Mais, il y a un « mais »… D’où vient ce sentiment que ces œuvres, à peine entendues, se volatilisent aussi vite et que, dans nos cœurs ou nos esprits, elles ne déposent pas une impression durable? A cette question, nous vient une réponse : à trop tendre vers un idéal de beauté, fond et forme, celui-ci ne vient’il pas occulter le sentiment profond de ce musicien et de ce fait, nous priver de découvrir celui-ci ?
Nous ne réclamions pas que l’interprétation du beau russe, au physique de gendre idéal, souffrit de quelques faiblesses, mais que son jeu veuille bien nous émouvoir par quelques fragilités. Sacrifiant quelques traits exemplaires, nous en aurions aimé d’autres, inattendus, caractérisés, voire rebelle à la doxa chopinienne. Mais, entendons nous…Il n’y a là aucun reproche de maniérisme, aucune tendance de la part de Lugansky à se contempler sur le reflet des touches d’ivoire de son Steinway. Sa probité est irréprochable mais notre frustration est bien réelle.
En seconde partie, Lugansky défendra une œuvre rarement jouée, la sonate pour piano n°1 en ré mineur opus 28 de Rachmaninov.
« Que de notes, que de notes… » aurait dit Joseph II à Mozart.
Le meilleur de Rachmaninov n’est pas ici. Malgré la conviction de Lugansky, son aisance à surmonter les complexités de cette partition (finale du 1er mouvement… !) on entend plus qu’on écoute, regrettant quelques Préludes ou quelques Etudes-Tableaux.
Trois petits bis et sous les ovations, Nikolaï Lugansky s’efface.
Impassible et impeccable…
Ps : Le 5 août, en bis, Maria Joao Pires nous donna le Nocturne op 9 n°3 de Chopin. Inexprimable.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 07/08/2010
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