Musicales du Luberon 2 août 2010 Ménerbes
De la mélancolie à la jubilation…de la jubilation à la mélancolie…
Non, Sonia Wieder-Atherton n’a pas pris le chemin du cross-over, cette tentation musicale qui consiste pour un artiste « classique » à laisser une trace du côté de la variété, du jazz, du folklore, du tango. Résultat : a quelques rares exceptions près (Michel Portal, Bruno Fontaine, Anne-Sofie von Otter…) un constat : « Chacun chez soi.»
C’est à la source d’un lointain passé musical que Sonia Wieder-Atherton s’est à nouveau distingué.
Violoncelliste parmi les plus célébrées de sa génération, cette musicienne, qui ne connait ni ne subit contraintes ou effets de mode, n’a pas hésité, sur plusieurs albums à faire cohabiter Krawczyk et Rachmaninov, Monteverdi et Dutilleux, Schubert et Aperghis. Autant de programmes qui auront divisé la critique et suscité bien des débats.
Une telle personnalité, habitée par une passion musicale qui échappe à tout traitement, ne pouvait pas se consumer en ne jouant que le « grand répertoire. » Les musiques traditionnelles juives de la « Mitteleuropa » ont depuis longtemps droit de cité dans son magnifique instrument, un Mateo Goffriller de 1710.
Eprouvant le cours naturel de son introspection intime, Sonia Wieder-Atherton a croisé les musiques de sa culture familiale qui est celle du peuple de l’errance, celle des tableaux de Chagall comme celle des romans d’Isaac Bashevis Singer. Musiques de mémoires, musiques d’exil, musiques liturgiques ou de traditions profanes…pour faire remonter à la surface son ADN musical, pour se faire entendre, Sonia Wider-Atherton s’est beaucoup écouté, consulté. Si les Suites de Bach n’appellent pas de « familiarité » de la part de l’interprète, ces chants traditionnels, ceux que Sonia porte dans son cœur, doivent, sous peine d’une neutralité stérilisante, vivre corps et âme au rythme d’un archet inspiré.
Ce programme, un florilège d’œuvres anonymes arrangées par Sonia et Jean-François Zygel, est bouleversant. Jamais un instrument, le violoncelle, si poignant de mélancolie, ne se sera autant confondu avec une voix humaine. Pudiques évocations d’immémoriales souffrances, prière à mi-voix, mélopées murmurées, soudaines étincelles de vie qui suggèrent les danses d’un Schtetl morave, farandoles ivres, jubilatoires, presque exaltées…on ne peut résister à ces musiques qui nous empoignent, nous étreignent, nous mettent presque simultanément la larme à l’œil et le sourire aux lèvres.
Mais, honte à celles et ceux qui tirent l’archet pour « sentimentaliser », honte à celles et ceux, qui au clavier, veulent produire du « beau son » et en dire plus que ce qui est nécessaire.
Le monde de l’implicite, celui qui va de soi, celui du demi-mot, est tout entier concentré dans l’irradiante et sobre entente entre Sonia Wieder-Atherton et Bruno Fontaine.
Dans l’église de Ménerbes ce soir là, un grand frisson, un long silence et une ovation, tous cœurs œcuméniques réunis.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 04/08/2010
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