Festival de La Roque d’Anthéron
Dans son roman « La Tâche » paru en 2002, Philip Roth décrit l’entrée sur scène de Yefim Bronfman. Fasciné par ce virtuose américain (accueilli à La Roque en 2001), Philip Roth brode quelques lignes amusantes. Qui est « Mr Fortissimo », cet homme qui apparaît, aussi large que haut ? Le déménageur de piano ? L’artiste ?
Aussi massif et compact que Yefim Bronfman, Arcadi Volodos pourrait aussi créer la confusion …
Le pianiste russe fait débat. Auprès du public ou dans la presse, il a ses détracteurs comme ses admirateurs. L’usage qu’il fait de ses moyens techniques, de sa virtuosité inégalée, (à l’exception de Marc-André Hamelin), du contrôle absolu de sa sonorité, de ses éclats foudroyants, de sa nonchalance face aux prouesses les plus confondantes, sont largement commentées. Pour les uns, il ne serait qu’un phénomène purement « démonstratif ». Pour les autres, un interprète génial et probe.
Mais, quand on bâtit son destin musical sur des Liszt, Rachmaninov, Tchaïkovski, quand on aime à donner des transcriptions d’Horowitz ou Cziffra et quand on étoffe son programme avec des arrangements et des paraphrases susceptibles d’affoler les instruments de navigation des avions qui survolent son piano, on s’expose naturellement à la remarque de bon sens : « Il a bien joué mais qu’est ce qu’il a dit.. » ?
En cette soirée du 6 août, les dernières mesures de la sonate « Fantaisie » D 894 de Schubert s’éteignent. Les mains d’Arcadi Volodos demeurent suspendues sur le clavier et le public, saisi d’émotion, n’ose rompre ce silence qui tient de la magie. Débat ? Quel débat ? Si débat il y a, il est dès lors bien inutile et pour tout dire, assez cuistre.
Cette sonate est un chef d’œuvre schubertien qui ne cède en rien à ses aînées, les fameuses D 958, 59 et 60 de 1828*. Le ciel est lourd de menaces pour les artistes qui passeraient à côté du climat si particulier de cette sonate attachée au nom de Serkin, Lupu, Zacharias ou Sokolov. Dès les premières mesures, le poids sur les touches, la simplicité du propos, l’énergie paisible d’un jeu volontairement monochrome, attestent de la hauteur de vue d’une œuvre que le pianiste russe aura longtemps laissé décanter pour la maîtriser dans son ensemble.
Quel contraste entre le premier thème qui semble figé et la variation sur un motif de valse du second ! Et ces murmures hésitants… ! Et ces orages sonores… !
Ce pianiste, aux traits aussi expressifs qu’une statue de l’île de Pâques, si lourdement assis sur une simple chaise pliante, s’attaque, par de redoutables coups de boutoir, aux difficultés du second thème de l’andante en si mineur sans montrer le moindre effort. La magie de cette sonate va encore planer sur un Menuetto d’anthologie et un Finale que Volodos semble improviser. On s’est longtemps étonné des répétitions, des « divines longueurs » de Schubert mais aussi du traitement des reprises.
Mais ce sont bien ces répétitions là (pas des Variations) qui nous hypnotisent et nous émerveillent. Ils sont à plaindre ceux qui chez Schubert n’entendent que les notes… !
Nous ne dirons rien des Liszt de la seconde partie du récital d’Arcadi Volodos. Ils auraient pu attendre.
Car nous, c’est Schubert que nous aurions encore et encore voulu écouter sous ses doigts.
Des Impromptus, les trois dernières sonates, des Valses…
Vivement 2009…Il n’y a rien de plus simple que de détourner la navigation aérienne au dessus du Parc de Florans…
Gérard Abrial
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* Annoncée comme sonate n° 20 en sol majeur D 894, elle est classée aussi n° 18. D’où le risque de confusion avec la D 959 n° 20 aussi.
© Easyclassic - 09/08/2008
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