Festival de la Roque d’Anthéron 5 août 2009 Récital de Martha Argerich et de Nelson Freire
C’est ainsi avec les grandes stars : la probabilité de les voir se décommander est souvent proportionnelle à leur célébrité. (Hier Horowitz, Michelangeli, Gould…aujourd’hui Grimaud, Pogorelich…)
Martha Argerich fut un temps coutumière de ces défections. Se sentant surexposée lors de ses récitals en solo, elle avait perdu le goût de la scène.
Désormais, entourée de ses jeunes protégés dont elle promeut la carrière avec beaucoup de générosité mais aussi en compagnie de ses anciens compagnons de route, Misha Maïski, Alexandre Rabinovitch, Ivry Gitlis.... elle renoue avec le public.
C’est avec Nelson Freire, son jumeau, son alter ego, son « double » que la connivence est la plus profonde. Un tel duo ne peut que générer de l’enthousiasme. En ce 5 aout, l’ovation que ces deux monstres sacrés a suscité est l’une des plus sonores jamais ici entendue. L’empathie du public envers des artistes de cette envergure, de surcroît si modestes dans leur apparence et leur comportement, est sans limite. Que Nelson Freire hésite avant un quatre mains au moment de s’installer devant sa moitié de clavier, que Martha Argerich esquisse un sourire après un trait particulièrement difficile… et soudain, le public réagit, rit, sourit à son tour. Le vif du sujet à peine abordé la fête est déjà réussie. Quand on aura souligné le relief, la densité, la vitalité qui caractérise le jeu de ce duo, il sera inutile d’aller plus loin. Tout superlatif est condamné à n’être qu’un truisme dès lors qu’il s’agit de musiciens de ce niveau.
Aux premières mesures des Variations sur le thème de Haydn de Brahms, timbres, couleurs, phrasés, rebond, jaillissent de ces deux pianos tantôt « fondus » l’un dans l’autre, tantôt parfaitement distincts.
Mais s’ils font « âme commune », le tempérament de l’un ou l’autre ne s’efface pas. Martha Argerich (c’est sa marque de fabrique) flirte volontiers avec la zone rouge, celle des fortissimos fulgurants, des accords arpégés ravageurs, des turbulences sur tout l’ambitus de son clavier. Nelson Freire, faussement nonchalant, joue le calme souverain et invite sa partenaire à moins d’incandescence, sans un regard, sans un signe, par un effet qui relève de la télépathie.
Et ainsi, passent comme dans un rêve, les Variations sur un thème de Haydn, les Danses symphoniques de Rachmaninov (œuvre étincelante mais parfois peu inspirée), le Concertino de Chostakovitch (un allegro d’anthologie..) le Grand Rondo D 951 de Schubert ( qui nous change de l’habituelle Fantaisie en fa..) et pour terminer la Valse de Ravel. Martha Argerich et Nelson Freire donnent ici une version plutôt sage, bien éloignée du modèle « derviche tourneur » parfois surjouée et cacophonique. Leur sidérante virtuosité nous offre en bis une « Laideronnette impératrice des pagodes » du même Ravel si émouvante et si simple qu’elle déchaina les ovations du public.
Et puis, main dans la main, à petits pas, ils vont s’effacer car il n’y a pas de bonne compagnie qui ne se quitte.
Ce soir là, sur notre bonne vieille terre, dans mille lieux, milles autres concerts étaient donnés. Mais, il est certain que pendant deux heures de temps, c’est ici sur la planète piano de la Roque d’Anthéron que la musique fut la plus rayonnante. Et le public, le plus heureux.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 08/08/2009
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