Message d’entre-deux mondes
Message d’entre-deux mondes
En ce 22 juillet, quand, entre chien et loup, la lente descente des violoncelles qui introduit le choeur du Requiem et Kyrie pianissimo se fait entendre, on sait qu’un long voyage nous est proposé et que celui-ci nous mènera à coup sûr dans une sorte d’au-delà de nous-même.
Deux phénomènes concourent à cet état.
Le premier est d’ordre acoustique, le second spirituel.
Il est tout à fait admis que, sauf déficience fonctionnelle, la perception d’une masse sonore produite par quatre-vingt instrumentistes et plus d’une centaine de choristes provoque une sorte de sidération auditive.
Il est aussi constaté que, sauf âme particulièrement mal disposée ou cœur inapte, les effets conjugués de la musique et du texte de cette liturgie induisent une élévation du potentiel spirituel de chaque auditeur.
D’où, conscient ou non de ces manifestations, l’engouement du « grand public » pour le genre « Requiem ».
Les Requiems de Verdi, de Mozart, de Brahms, ou proche de nous, de Duruflé provoquent généralement de grands frissons.
Ce fut le cas pour ce premier concert de la saison 2005 des Musicales du Luberon dans la cour du Moulin Saint-Pierre aux Taillades.
Maître de cette cérémonie, dirigeant l’orchestre d’Avignon, celui de l’opéra de Toulon, le chœur régional Provence Alpes Côte d’Azur et le quatuor de solistes composé de la soprano Roxana Briban, de la mezzo Anne Salvan, du ténor Marius Branciu et de la basse Nicolas Cavallier, Cyril Diederich se devait d’être convaincant. Et, dans une œuvre aussi lourde de sens, s’y impliquant totalement, il le fut.
On reproche souvent à cet office des défunts sa théâtralité. On a pu subir parfois des versions emphatiques, voire d’une spiritualité grandiloquente. Sans pour autant tomber dans un profane aseptisé, Cyril Diederich a su nous conduire entre deux mondes, celui d’une région mi-terrestre- mi-céleste et celui qui varie, au fil de la partition, entre le séculier et le sacré.
Cette vision nous semble assez fidèle à l’évolution de Verdi, qui, âgé de plus de soixante ans, marque une longue pause dans la création d’opéras à l’usage des vivants pour écrire une œuvre destinée aux disparus. Verdi qui, sans sombrer dans une religiosité lisztienne, s’interroge au soir de sa vie sur le sacré et le dépeint avec un génie d’une admirable grandeur à l’image du Dies Irae initial.
Cette déflagration sonore qui émane de l’ensemble de l’orchestre et du chœur, dominée par les trompettes et les trombones, ponctuée par l’écho caverneux de la grosse caisse, produit toujours un effet saisissant sur le public.
Cette page aura été nuancée par une mise en place, orchestre-chœur hésitante et des contours un peu flous. Mais après l’entrée de la basse solo dans le « Mors Stupebit » le chef recomposa ses troupes. Dès lors, les trois plans sonores, solistes, orchestre et chœur, furent cohérents.
Alternance de houles vocales et d’épisodes de quasi-silences, de dialogues entres solistes et chœur, de solistes entre eux, la liturgie verdienne se déploya avec force et grâce.
L’ « Agnus dei » nous emplit d’une douce sérénité, le trio du « Lux Aeterna » fut admirable d’expressivité et le « Libera me » mérite qu’on s’y attarde. L’alternance de moments forts entre le pianissimo du solo du soprano et le choc renouvelé du « Dies Irae » suivi d’un « Requiem aeternam » sobre et dense, fut propre à faire fondre les âmes les plus impies. Et la fugue chorale finale, précédée d’un somptueux pianissimo, suspendit le temps en nous révélant, cadeau des anges, une voix venue de nulle part.
La soprano albanaise Alkelta Cela, souffrante, avait donc été remplacée au pied levé, par Roxana Briban, dont on ne savait rien.
Ce fut une révélation. Présence scénique irradiante, port altier et regard lointain, cette beauté roumaine subjugua le public. Dotée d’une voix de soprano profonde et d’une remarquable stabilité, on se laissa charmer par une ligne de chant tendue et ductile, des timbres chauds et riches et surtout une expressivité qui provoqua, dans la conclusion parlée du « Libera me » un silence pétri d’émotions.
Ses camarades de quatuor ne déméritèrent pas pour autant. Anne Salvan, mezzo, tint sa partie avec conviction, Nicolas Cavallier, basse, entra plus lentement dans son rôle mais donna de belles phrases et Marius Brenciu, nous gratifia d’une voix bien projetée, stylée, mais à l’ampleur limitée.
Quant à l’ovation faite à Cyril Diederich, elle fut amplement justifiée.
Car maîtriser un tel plateau n’est pas tout. Ce chef généreux le fit avec une tension continue, une conviction qui s’illustra par une gestique précise et puissante, animée par une conception globale de l’œuvre, qui pour être subjective, aura été tout à fait pertinente.
A l’écoute d’un tel ouvrage, on émettra comme nous le faisons souvent, un regret. Qu’un hommage ne fut pas rendu au grandiose défunt, qu’un portrait de Verdi, ce soir là, n’ait pas été exposé. Il serait bien souhaitable d’y songer quand une œuvre d’une si grande portée nous est offerte.
Tant de visages nous sont imposés, aussi éphémères qu’inutiles…
Gérard Abrial
© Easyclassic - 25/07/2005
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