13 mars 2012 GTP Aix-en-Provence. Récital d’Anne-Sophie Mutter
Grand Théâtre de Provence
Récital d’Anne-Sophie Mutter
Le 13 mars 2012
Anne-Sophie Mutter ou l’archet à tous crins.
Il est assez rare qu’au premier regard posé sur un artiste entrant sur scène, l’oreille anticipe ce que le temps d’un récital, elle va entendre. On ne sait rien du choix du tempo d’une œuvre, d’un parti-pris esthétique, mais on pressent que c’est de hauteur de vue qu’il va s’agir.
Anne-Sophie Mutter ne joue pas dans la catégorie d’un facétieux et hasardeux Nigel Kennedy ou dans celle des très agités Nemanja Radulovic ou Patricia Kopatchinskaja. Question de programme aussi, naturellement.
Toute de dignité, vêtue d’une spectaculaire robe fourreau bleu azur, port altier, silhouette parfaite, sourire en demi-teinte, Anne-Sophie Mutter est une artiste distinguée mais sans raideur, réservée mais sans froideur.
Homme, elle aurait le maintien de Nathan Milstein, la sobre maîtrise de Jasha Heifetz, la « beauté intérieure » de Yehudi Menuhin.
Femme, elle n’est comparable qu’à elle-même.
La technique superlative de la violoniste allemande, le confondant contrôle sonore de son Stradivarius (un des deux en sa possession.. !) la longueur des traits de son archet, sa sonorité étincelante, ses phrasés célestes, sa ferveur toute intériorisée, auront ébloui un auditoire aixois sous le charme. A ses côtés, Lambert Orkis, à l’apparence délicieusement surannée, est un impeccable pianiste au jeu mobile, vif, contrasté. De sa partenaire, il est l’ombre et la lumière.
Mais pourtant…pourtant…
En lever de rideau, un Mozart (KV 379) bien peu… mozartien.
L’oreille a beau se tendre, on ne reconnait ni la syntaxe ni la prosodie propre au cher Wolfgang. Cantabile à l’excès, cette sonate défile devant nous, belle de silhouette mais d’esprit…vacant. De la part d’un duo de ce niveau, bien évidemment, aucune faute de goût, mais un parti-pris esthétique, un point de vue qui nous laisse perplexe.
La Fantaisie pour violon et piano en ut (D 934) n’est pas une des œuvres les plus courues de Franz Schubert. Il faut tout l’art de nos deux musiciens pour que nous demeurions attentifs tout au long de leur dialogue.
Faute d’exaltation, on se sera dulcifié des multiples couleurs, timbres, nuances que libère le violon d’Anne-Sophie Mutter. Ces 25 minutes relatent si besoin est, l’admirable sens de l’équilibre de cet archet souverain. Quand d’autres font défiler des notes, Anne-Sophie Mutter, construit un édifice sonore. Le temps fort de ce récital aura été la Partita de Lutoslawski dédiée à notre violoniste. Ecrite en cinq mouvements joués d’une traite, voici une œuvre d’une écriture complexe, alternant tensions et dilatations, contrastes soudains, passages fulgurants entre pianissimo chuchotés et forte irradiants. Acclamée par le public, voici la démonstration qu’une musique contemporaine (ici encore « modérément » moderne) donnée par des artistes de ce niveau, peut parfaitement s’incorporer à un programme « classique. »
La sonate op.75 rapporte l’admirable science instrumentale de Saint-Saëns, la richesse de son inspiration, son don inné pour intégrer tout un orchestre dans un « simple » violon. Interprétée par un duo moins assuré, ce serait une partition à classer parmi les très habiles exercices de style. Sous les doigts félins de miss Mutter, la virtuosité requise pour l’Allegro molto final ne tourne pas à la démonstration.
Une longue ovation ramènera notre duo pour des bis donnés de bon cœur.
A oublier : une danse hongroise de Brahms aseptisée, les pieds sur terre appelle le souvenir de l’archet irrésistible d’un Ivry Gitlis ou celui, ébouriffant, d’un Roby Lakatos (nous assumons.. !)
A ancrer dans sa mémoire, une Méditation de Thaïs, d’une simplicité à faire verser des larmes au cœur le plus sec. Et c'est ainsi que par la grâce de quelques accords arpégés au piano et autres coups d’archet, voici toutes nos réserves effacées. Prima la musica, poi la parola…
Gérard Abrial
© Easyclassic - 14/03/2012
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