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Aïda c'est Adina

Aïda ou le chant des dilemmes.

Elle évoque nuits d’été et scènes immenses (Orange, Vérone, Stade de France …) Et des mises en scène grandioses, des colonnes de soldats, enfin… tout le fourbi égyptien (palmes, hiéroglyphes géants, sphinx colossaux…). Aïda est l’opéra de la démesure. Comment Charles Roubaud qui signa la mise en scène d’Orange en 2006 pouvait’il réussir celle que l’opéra de Marseille lui a commandé ? Il est fort heureux qu’un rapport émotion-mètre carré ne soit pas imposé à cet homme de talent (dimension scène Orange : 67 m, Marseille 12 m)
La nécessité d’un grand espace, du « tout visuel », du grandiose, tombe dès lors que le « tout émotionnel » peut se manifester par un parti pris intimiste qui répond aux exigences lyriques et théâtrales. Mais aussi par la manifestation d’états psychologiques complexes, voire insurmontables subies par les protagonistes. Car, contrairement à d’autres Verdi où les situations humaines sont invraisemblables jusqu’à l’absurde, celles d’Aïda sont crédibles et passionnantes.
Ce sont les effets de loupe sur les tensions, les tourments, les conflits intérieurs éprouvés par Aïda, Amnéris et Radamès qui font la réussite de cette production. C’est dans un labyrinthe sans issue, un dédale sans repère que ce trio évolue, victime de l’implacable réalité de sa situation. Car tous trois vont en vain se débattre entre sentiments amoureux, principes patriotiques, devoirs familiaux, morale religieuse.
Ainsi, une scène lambda, un décor a minima, des chœurs de petit format, suffiront à exprimer ces dilemmes qui ne se résoudront que par le drame.
Charles Roubaud a vu juste en traitant son Aïda avec simplicité et lisibilité. Par une mise en scène architecturée, par un rythme soutenu, cette version, nous aura comblé. Mais à quelques réserves près.
Radamès-Walter Fraccaro, s’il a la stature d’un chef de guerre, n’est pas un ténor vocalement désarmant. Timbre peu séduisant, émission manquant de mordant, projection et ambitus moyens, il demeure jusqu’au troisième acte, un peu spectateur de son propre rôle. Il faudra le grand duo final avec Aïda pour le voir prendre hauteur et relief. Pour la petite histoire (qui néanmoins fit grand bruit…) Walter Fraccaro remplaça Roberto Alagna « défaillant » à la Scala en décembre 2007 dans une Aïda signée Zeffirelli.
On dit « Chopin » et Arthur Rubinstein paraît. On dit « Carmen » et Béatrice Uria Monzon apparaît. Etat gratifiant mais à la longue, frustrant pour ces artistes si indentifiés à leur titre de gloire.
Incarnant Amnéris, Béatrice Uria-Monzon aura pris son temps pour entrer dans le drame verdien. Mais, aux premières mesures du « L’abborita rivale a me sfuggia » de l’acte 4, l’admirable mezzo déploie sa belle ligne de chant, son legato soyeux et nous offre quelques pianissimo que l’on écoute les yeux fermés.
Adina Aaron-Aïda nous était inconnue. Mais, elle entre en scène et nous voila séduit par cette silhouette hiératique. Même sa coiffe, semblable à un tambourin creux, ne parvient pas à contrarier le port élégant et nonchalant de la soprano américaine. Adina Aaron traversera les quatre actes avec une économie de moyens, une intériorité illustrée par une voix stable, profonde, expressive, d’une musicalité sobre et intense. Mélange de Grace Jones et de Michelle Obama pour l’allure, Adina Aaron aura gagné le cœur des marseillais.
Amonasro, père d’Amnéris avait enflammé les Chorégies en 2006, toujours dans le même rôle. L’aisance de Ko Seng Houyn est stupéfiante. Tout d’un bloc d’autorité, de maîtrise de ses intentions (même les plus perfides) le baryton coréen galvanise le public par une puissance vocale dont il fait un usage modéré et un timbre de bronze envoûtant. On ne résiste pas à l'abattage d'un Amonasro de cet acabit.
Côté fosse, une rencontre renouvelée entre les musiciens et Nader Abbassi, atteste de leur bonne entente. Le chef égyptien veille à chaque intonation, contrôle chaque phrasé, soigne le son et le style de la phalange phocéenne.

Et c’est ainsi qu’à l’abri du mistral, du froid et des tarifs qui parfois gâtent le plaisir des Chorégies, nous fûmes ce soir là des Verdiens heureux, bien au chaud sous les ors du théâtre phocéen.

Gérard Abrial
www.easyclassic.com

ps : le recours à la vidéo ( statique) selon Charles Roubaud aura été supportable.
Mais de grâce, qu’on nous épargne ces images animées qui partout se répandent et qui nous ramènent aux écrans de cinéma, de télévision et aux ordinateurs de notre quotidien. Pour ce résultat, un bon DVD fait l’affaire.
On ne vient pas à l’opéra pour visionner des images mais pour assister à des morceaux de vie qu’on préfère en relief, largeur, hauteur et profondeur y compris.

© Easyclassic - 04/12/2008