Festival de piano de la Roque d’Anthéron 2014 Samedi 31 juillet
Grigory Sokolov : de la plénitude à l’ineffable
« Il n’est pas le plus grand mais il est le seul. »
Signé Arthur Rubinstein, cet aphorisme en hommage à Vladimir Horowitz, pourrait tout autant s’appliquer aux sommités vivantes qui sont les Lupu, Perahia, Barenboïm, Argerich, Pollini, Brendel…
Sont ‘ils les plus grands, sont ‘ils les seuls ? A notre connaissance, aucune mesure scientifique, aucune neuro-imagerie ne viennent départager les uns et les autres. Affaire de goût, goût qui par bonheur ne répond à aucune logique.
Cependant, un nom émerge, synonyme d’étrangeté, de mystère, d’esthétique musicale qui ne ressemble à aucune autre. Il s’agit de Grigory Sokolov, prodige russe, un genre d’Ovni dont la pensée musicale ne s’autorise que d’elle-même. De cet homme, que sait-on ? Rien ou presque. De vagues rumeurs convergent pour décrire un être profondément monomaniaque, obsessionnel, d’une exigence d’airain. Quasiment autiste, impénétrable, Sokolov, son récital achevé, enchaîne ses va et vient de la coulisse à son piano, impassible, mécanique, indifférent au public qui l’acclame.
Homme dans ce monde, pas de ce monde
C’était le 9 août 2000 au temple de Lourmarin. Un quasi inconnu (pour nous du moins) apparaissait. Une expérience sidérante. Le siècle qui venait de naître nous offrait un grand maître russe « inouï »
Depuis 14 années, nous nous rendons, tels des pèlerins, à la grand-messe Sokolov. Un rituel quasi religieux. Au fil des ans, de sokolophile, nous sommes devenus sokolâtre (Il se dit qu’il existe des sokolophobes mais ceux-ci ne s’en vantent pas) D’année en année, nous avons connu l’extase, l’hypnose, l’émerveillement. Oh…bien sûr, il y eu quelques diminuendo. Une lointaine et fastidieuse première sonate de Brahms, des pièces de Komitas que notre mémoire n’a pas retenu, quelques Schubert subissant d’inutiles embardées sonores. Mais, de Couperin à Prokofiev, tout tient du miracle. Hypnotisé, extasié, le sokolophile retient son souffle. D’année en année, il améliore ses temps d’apnée.
Glenn Gould, lapidaire, conscient de sa valeur, affirmait : « Je me refuse de penser que l’acte recréateur soit différent de l’acte créateur »
Autrement dit : le génie de l’interprète peut ne pas être inférieur à celui du compositeur. Pas moins.
Pour relater les apparitions de Grigory Sokolov, nous avons écumé tous les superlatifs du Littré, emprunté les métaphores les plus audacieuses, les comparaisons parfois les plus boursouflées, cédés à des enthousiasmes exempts de toute objectivité.
Un souhait : que Sokolov nous procure encore longtemps cette addiction musicale à nulle autre comparable.
Le récital de ce samedi 31 juillet se composait de la sonate n°3 de Chopin et d’une série de Mazurkas.
Aux premières mesures de l’Allegro maestoso, nous éprouvâmes l’émotion la plus intense jamais ressentie. Scherzo, Largo, Finale...la mise en mots de ce chef d’œuvre nous semble tout à fait hors de propos…hors de propos…
Sokolov rayonne dans un espace où le vocabulaire ne peut plus rendre compte de ce qui s’entend.
Le monde de Sokolov est ineffable. C’est un univers où règne une entière plénitude.
Un ailleurs.
28 minutes plus tard, tout était dit.
Gérard Abrial
« La musique commence là où s’arrête le pouvoir des mots ».
(Richard Wagner)
© Easyclassic - 13/08/2014
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