Grand Théâtre de Provence 20 janvier 2017 Récital de Fazil Say, pianiste
Fazil Say un musicien de génie qui dénote, détone, nous étonne et nous subjugue
Grand Théâtre de Provence vendredi 20 janvier
Voici 72 heures que Fazil Say a disparu derrière le rideau de scène.
Ce temps est généralement suffisamment long pour que le souvenir d’un concert, même réussi, s’estompe et que la mémoire musicale s’effaçant progressivement, fait place aux événements à venir.
Et puis, il y a les apparitions de Fazil Say. Des apparitions si hors-du commun que la réminiscence s’exprime à rebours de la logique habituelle. De cette curiosité neurologique il se dit qu’un événement particulier, affectant et sur-stimulant le cortex cérébral et l’hippocampe, conserve sans altération non seulement les souvenirs auditifs ou visuels, mais, infusant, amplifie les émotions éprouvées. Une histoire de circuit de la récompense et de sécrétion de dopamine…
Car Fazil Say est un cas hors-norme, le musicien le plus singulier qui soit.
D’une part, ses véhéments contempteurs.
Vent debout contre ses manières musicales, ses poses et ses postures, ses libertés interprétatives (à l’image d’un Gould dé-jouant Mozart et Beethoven) ceux-ci ne cessent de dénoncer une « fausse valeur ».
D’autre part, ses adulateurs.
Le soussigné, ayant eu, sur plus d’une décennie, le privilège d’assister à quelques concerts de l’étrange et déroutant phénomène d’Anatolie, avoue avoir abdiqué le minimum de discernement requis pour relater ce récital.
Car une chose est de rendre compte avec probité ce que l’ouïe et elle seule a retenu, une autre est de contenir l’impact du charisme, du pouvoir de conviction et de la spontaneité d’un musicien.
Il y a tant et tant d’instinct chez Fazil Say. Joué sans effort, son jeu est constamment fluide et rayonnant. Ses interprétations, qui s’autorisent bien des transgressions, sont constamment mobiles, les climats extraordinairement divers, les accents tragiques joués sobrement, les allegro empreints de facéties et d’humour. (Parfois Harpo Marx passe sous nos yeux)
Les deux sonates K.331n°11 et K.332 n°12, font entendre des phrasés d’une liberté absolue, très articulés, trouvant des sonorités percussives inédites, sémillantes à souhait. Le Mozart de l’enfant terrible d’Ankara (*) vient à nous nimbé d’une fraîcheur et d’une lumière irradiantes. Fazil Say, aurait ‘il voulu faire preuve d’une grande empathie en entrant dans la peau d’un Mozart de 22 ans, facétieux, turbulent, grimacier (**) qu’il ne s’y serait pas pris autrement. (***)
Le Fazil Say du Livre 1 des Préludes de Debussy pourrait t-il réconcilier pro et anti Fazil Say, ceux-ci, à juste titre, ne jurant que par Michelangeli et Bolet.
Certainement. Notre musicien, n’ayant comme seul fidélité que celle de son inspiration, nous livra de bien beaux Préludes, aérées, aériens, toutes d’un long souffle. De la chaleur lumineuse et parfumées des « Collines d’Anacapri » aux paysages figées et mélancoliques des « Pas sur la neige »,
Fazil Say nous invite à des Préludes pyrotechniques, aux reflets infinis.
Fazil Say fait ‘il du Fazil Say ? Oui. Et surtout que jamais il ne cesse.
Gérard Abrial
(*) Condamné en 2013 à dix mois d'emprisonnement avec sursis au motif d’envoi de tweets jugés blasphématoires par les autorités turques, il bénéficiera d’un non-lieu prononcé en septembre 2016 par le tribunal d'Istanbul.
(**) Symptômes évoquant un trouble neurologique dit de « Gilles de la Tourette ».
(***) Sa version « jazzy » de la Marche Turque a depuis longtemps échappé au monde de la musique « savante » pour s’égayer par centaines de milliers de visites sur You Tube. On n’y résiste pas. https://www.youtube.com/watch?v=0_Whp1kWZ8Y
© Easyclassic - 22/01/2017
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