Festival de la Roque
Vieil homme au visage sépulcral et au regard éteint, Aldo Ciccolini, 83 ans, démarche lourde et fragile, rejoint lentement son piano et entame son récital par le Nocturne n° 1 de l’opus 62.
Que disent ces notes à peine esquissées, si désolées, comme en suspens ? Ne sont-elles pas la confusion des peines d’un Chopin mélancolique et d’un artiste qui, au crépuscule de sa carrière, l'est tout autant ?
Dans le public recueilli de la Roque, des mélomanes évoquaient des émotions lointaines mais encore vivaces. Un Ciccolini entendu en 1955 jouant Liszt, un de ses concerts sous la direction d’Erich Kleiber, la découverte de Satie par ce grand maître. Ce soir, de nombreux mélomanes vinrent écouter leurs souvenirs, leur passé. « Leurs » musiques sont indéfectiblement liées à cet homme. La litanie est toujours la même : Liszt par Ciccolini, Beethoven par Ciccolini, Grieg par Ciccolini…Pour ces mélomanes, leur guide et leur référence aura toujours été cet homme, qui, en 67 ans de carrière a servi la musique avec la plus grande dévotion. Mais, désormais, c’est un artiste sans illusion sur l’avenir de l’art qui s’exprime…
« Je ne suis pas optimiste du tout. De là à penser que l’art et la culture disparaissent un jour complètement, il n’y a qu’un pas qui sera, à mon avis, franchi... du moins en Occident. Ce qui sonnera le glas du monde occidental car celui-ci ne tient que par sa culture. Une civilisation sans culture est une civilisation sans avenir. »
,Et ce sombre constat se fait entendre dans son interprétation.
Le Chopin d’Aldo Ciccolini est traversé par des demi-teintes, des couleurs sépia. Il évite le relief des extrémités du clavier, s’exprime dans un médium souvent désabusé. Ce qui sied à merveille aux Nocturnes de l’opus 62.
La Tarentelle de l‘opus 43, généralement euphorisante, ne modifiera pas l’humeur du maître. Ciccolini livre l’essentiel de la musique, sa substance, sa quintessence et rien de ce qui pourrait la décorer, l’embellir ou la rendre plaisante n’a sa place ici. Le « cantabile » cher à Chopin, la pulsation de sa phrase, sont ici à peine esquissés.
Pour l’allégresse, la rutilance, les couleurs, le mouvement, il faudra voir du côté d’un Rafal Blechacz ou d’un Iddo Bar-Shaï, entendus ici même.
La visite du musée qui abrite les Tableaux d’une Exposition de Moussorgski proposée par le maître napolitain en seconde partie, ne se fera pas dans l’euphorie non plus.
Maîtrisant impeccablement l’œuvre, la pensée de Ciccolini est parfaitement organisée, claire et droite. Mais, où est la gaîté de la Promenade , le pittoresque de Gnomus, les sourires du Ballet des Poussins, le folklore du marché de Limoges… ? Et l’insolite des accents de l’Orient.. ?
Il ne sera bien entendu pas question d’incriminer l’immense talent d’un grand maître, mais plutôt manifester le refus de le suivre dans l’austérité de ses convictions musicales…et humaines.
Mais les ovations d’un public ému désavouent peut-être ces considérations…
C’est dans les salles de concert que la subjectivité est la plus dense au mètre carré.
Aldo Ciccolini n’aura jamais corrompu son art par une note vaniteuse ou complaisante.
En ce sens, il demeurera à tout jamais admirable.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 13/08/2008
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