Aix-en-Provence Festival de Pâques 20 avril 2014 Grand Théâtre de Provence
Dudamel superstar
On se frotte les yeux : que Martha Argerich, Mikhail Pletnev, Yo Yo Ma, Myung-Whun Chung, Daniel Harding, les orchestres de Göteborg, de Rotterdam, le Philar’ de Radio-France, le Symphonique de Vienne disent « oui » à un festival d’à peine deux ans d’âge, âge où on essuie les plâtres, voila là un bien grand mystère. Il faut dire que son directeur artistique, Capuçon Renaud (époux de Ferrari Laurence, un couple qui aime les autos) violoniste le plus en vue des scènes françaises et bien au-delà, a su vanter le charme d’Aix et autres avantages hors de notre savoir…
A ses côtés, un Dominique Bluzet qui du monde de la culture n’ignore rien, formidable organisateur, convaincu et convaincant, a trouvé des partenaires financiers à la hauteur de ses ambitions. De nos jours, une prouesse.
A ce train, le « grand » festival lyrique d’été, sous peu, deviendra l’annexe de son redoutable cadet.
De « El Sistema » à Strauss
Gustavo Dudamel est l’ambassadeur de « El Sistema » programme d’éducation musicale à l’usage de la jeunesse vénézuélienne. Lui-même issu d’un milieu défavorisé, incarnation du pouvoir magique de la musique sur les destins, il dirige aujourd’hui les plus grandes formations au monde.
Aux premières mesures du poème symphonique de Strauss, Till Eulenspigel, le charisme de Gustavo Dudamel, la sureté de sa battue, la précision de ses attaques et surtout, l’adhésion de l’orchestre de Göteborg, font merveille. Voici une pyrotechnie étincelante, un feu d’artifice qui met en joie les percussions, la petite et la grande harmonie et toutes les cordes formidablement complices de leur guide. Une entrée en matière irradiante.
Un Mozart incongru.
On s’étonna de trouver Mozart entre Strauss et Sibelius. Non pas que des versions sur instruments modernes soient à proscrire, mais nos sens sont depuis longtemps « formatés » aux sonorités d’ « époque » à des effectifs « Mozart » à toute une esthétique 18 eme affectant couleur, articulation, phrasé, rhétorique. Mais l’ennui ne vint pas de l’instrumentarium mais de la direction d’un chef vraiment pas inspiré par ce Mozart.
En pilotage automatique, Dudamel, dactylographie cette œuvre. Méconnaissable.
Un Sibelius foudroyant.
Par bonheur, la baguette du chef vénézuélien va retrouver toute sa ferveur pour cette deuxième de Sibelius.
Dire que cette interprétation fut exaltante est peu dire. L’univers de Sibelius longtemps associé à celui de Tchaïkovski ne doit rien ni à celui-ci ni à celui de Rachmaninov, son contemporain. Il a fallut un Bernstein, qui signe une intégrale fin des années 60, pour caractériser Sibelius, pour lui donner toute son identité.
Dudamel, dans le sillage de « Lenny » ? Son choix de brusquer les tempos, de ne pas homogénéiser les divers plans de l’œuvre, de produire un monde sonore granitique, trahit cette filiation. Quitte à faire entendre, à certains moments, un péplum sonore qui déplaira à des cœurs secs qui crieront au pathos.
Mais qu’importe… ! Le tellurisme de cette œuvre abolit la raison et l’analyse au profit d’un plaisir viscéral, chavirant.
C’est ainsi que Dudamel est grand.
Et notre plaisir musical assouvi.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 22/04/2014
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