Le 23 juin 2011 Opéra de Marseille
« Tout comme Rodrigue, oui, tous (ou presque) ont du cœur »
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Question 1 : « Fréderic Mitterand, avez-vous du cœur… ? »
Notre ministre de la culture de passage à Marseille ce 15 avril, d’un mot condescendant, accordait à l’opéra phocéen une modeste mention : « honorable », Du Vieux Port aux beaux quartiers jusqu’aux anciennes banlieues ouvrières, la protestation fut unanime. Vent debout, Marseille, cité profondément lyricomane, protesta. Tant et si fort que notre maladroit locataire de la rue de Valois dû requalifier son jugement.
Mais, accordons-lui un certain cran puisqu’il vint assister à la première de cet opéra dont le succès apporta un désaveu « vivacissimo » à ses réserves.
Il faut dire que ce Cid de fin de saison était gorgé d’atouts. Alagna-Rodrigue, Uria-Monzon-Chimène, Jacques Roubaud, « maître en scène » efficace et impeccable, mais surtout, une initiative remarquable : sur Mezzo, une diffusion en direction de 41 pays et, sur écran géant place de la Mairie, une projection qui attira une foule considérable.
On sait que cet opéra, des ses premières mesures, impose à Rodrigue, (acte 1, tableau 2) les plus extrêmes difficultés vocales. Mais, Roberto Alagna assure. Ses talents exceptionnels, ceux-là même, qu’il y a peu on disait altérés, sont intacts. Ligne de chant d’un parfait raffinement, phrasé de grande classe et, immuable, une diction impeccable. Quant aux fameux aigus prétendument érodés, ici, ils résonnent clairs, purs, aisés. Quand notre Cid chante, une mesure d’économie s’impose, celle du sous-titrage. Bien des voix françaises, par ailleurs nourries de grandes qualités, ne se font comprendre qu’à la lecture des écrans de traduction. Roberto Alagna appartient à ces rares artistes qui ne chantent pas mais qui s’expriment en chantant comme s’il s’agissait de leur langue maternelle. Quant à sa présence scénique, elle est crédible à chaque instant, pas un pas de ce Cid qui ne soit « fondu » dans la prosodie de son texte, pas un geste, un mouvement qui, tel un drapé, ne viennent tomber au plus juste avec le sens de son propos. La vaillance et la prestance de notre « Sicilien » (malgré une paire bottes à la Sancho Pança.) ont fait merveille.
Question n°2 : « Chimène, as-tu du cœur ? » Béatrice Uria-Monzon, à ne pas en douter, n’en manque pas. Ses émois sont justes, leurs évolutions tout au long de l’œuvre cohérents, crédibles, émouvants.
Question n°3 : « Chimène, as-tu de la voix et laquelle ? »
Une controverse porte sur la tessiture de notre héroïne. Rôle à l’origine porté par une soprano dramatique, l’amoureuse de Rodrigue, chante ici dans un « registre » de mezzo. Effet ? Cause ? Il faut dire que miss Uria-Monzon, a diverses reprises dans ses « forte » tempête plus qu’elle ne chante.
Projection parfois instable, phrasés disharmonieux, passage en force… on fait la moue. Mais son grand air « Pleurez mes yeux… » est un modèle de subtilité, de musicalité, de maîtrise vocale. Temps en suspens, gorges nouées…un haut fait d’opéra par une actrice de grande classe à l’irradiante présence.
Deux mots pour les rôles secondaires : nos Don Gormas et Don Diègue furent peu enthousiasmants. Voix usée pour l’un, charisme limité pour l’autre.
Question n°4 : « Gustave, roi de Castille, as-tu du cœur.. ? » Soyons indulgents. La couronne du monarque ne pesait rien sur une tête absolument absente.
Question n°5: « Messieurs et Mesdames les choristes, instrumentistes et vous, monsieur Lacombe, chef d’orchestre… : avez-vous du cœur… ? » Tout en « vivats et hourras » en « bravo, bravi, brava, brave… ! » voici la réponse du public.
Et la présence d’Angela Ghoerghiu, applaudissant son époux à nouveau dans sa vie, apporta une touche « people » à cet événement, non pas « honorable » mais admirable…
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 26/06/2011
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