Le grand jeu d’Alexandre Tharaud.
Qui est ce jeune maître du clavier qui nous arrive ? Il ne nous est pas inconnu. Nous l’avions découvert avec un disque Rameau puis un album paru ce printemps consacré aux « Concertos Italiens » de Bach. Oserions-nous dire, que monsieur Tharaud, de ces oeuvres, a toutes les cartes en main ?
Mais avant de lui tresser quelques couronnes de laurier, ouvrons un instant un débat, celui des « emprunts » de Bach à quelques uns de ses contemporains. Ces œuvres dans « le goût Italien » étaient signées Vivaldi, Alessandro Marcello, Benedetto Marcello, Corelli…et Bach, les réduisant pour clavier, les modifiant, n’y voyait pas un acte délibéré de plagiat, mais un hommage rendu à ses contemporains. Et l’époque regorge de ces « synthèses » assumées le front haut.
Non, le débat le plus stimulant est celui qui porte sur les conceptions interprétatives ou la production de la matière sonore d’Alexandre Tharaud. En terme de variétés de timbres et de richesse de couleurs, de variations de climats, de nuances et de contrastes, voila un feu d’artifice ! Pas un mouvement, pas une mesure, pas une note qui ne soient pensés en terme d’expressivité et de mobilité. Au fil de ce flux sonore, panorama à l’infini de sentiments exprimés, on est séduit, souvent ému par la gravité sans pathos des premiers accents de la Sicilienne du concerto en ré mineur, par la candeur de ceux du sol mineur, par l’allégresse du fameux « Concerto italien » (de la main de Bach celui-ci) en fa majeur. Peut-être ici une légère réserve dans le presto qui pourrait sonner avec plus d’alacrité encore. Mais, quand arrive le temps fort de cet album, le mouvement lent du concerto en ré mineur de Marcello dont nous connaisssons tous la version illustrissime pour hautbois, c’est d’enchantement qu’il s’agit. Dans la plus grande simplicité expressive, dans la naturel d’un phrasé admirablement conduit, dans un halo nimbé d’un romantisme discret, dans une « pureté » jamais aseptisée, Tharaud fait merveille et nous remémore ici un ange du clavier, Dinu Lipatti auquel est dédié cet album. Ici un écho de la tendresse de la diction du pianiste roumain, plus loin la pudeur de son sentiment, ce don de soi qui échappe à toute rhétorique ou conception envahissante.
D’où qu’ils soient et aussi diamétralement opposées que puissent être leurs visions de Bach, les Gould, Gulda, Richter, Brendel, Pérahia, Sokolov, Koriolov s’entendront un instant pour saluer leur jeune successeur.
Jean-Sébastien Bach. Concertos Italiens. Alexandre Tharaud, piano Steinway
Harmonia Mundi 2005
© Easyclassic - 15/08/2005
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