Interview Marie-Josèphe Jude
GA : Etes-vous soumise à une pression particulière en jouant ici à la Roque ?
MJJ : Ici les plus grands se sont produits et le public est très réceptif : aussi nous sommes tous désireux de donner le meilleur de nous-mêmes.
GA : Intégrale pour intégrale, on connaît votre intégrale pour piano seul de Brahms. Vous retrouvez-vous dans un climat identique avec Schumann ?
MJJ : Pas du tout... L’expression de Brahms c’est la grande forme, cohérente, qui se développe. Avec Schumann, on est dans une extrême mobilité des sentiments et des sensations. Il faut être au cœur d’un kaléidoscope émotionnel…
GA : Quel est votre état de corps et d’esprit avant d’entrer en scène ?
MJJ : Je suis très concentrée avec une sensation de fatigue très étrange… Puis, une fois en scène, je me sens prête à donner le maximum, à me libérer, à prendre du plaisir à jouer. Avec le temps, cette mise en condition, je la maîtrise de mieux en mieux.
GA : Que se passe t’il avant la première note ?
MJJ : Je fais défiler mon texte, je reconstitue son architecture. Comme une vision panoramique...puis je me lance, je me laisse porter par la musique… !
GA : Comment réagissez-vous à l’abord d’une difficulté technique ?
JMM : Une difficulté technique isolée du flux musical me paralyse… ! Mais quand je suis portée par ce flux, je n’y pense pas. Maria-Joao Pirès me disait : « Quand on comprend la musique, rien n’est difficile. » Je ne peux jouer que quand c’est facile.
GA : A la dernière note… ? Soulagement ou regret… ?
JMM : Du soulagement quand j’ai joué le mieux possible et parfois du regret quand la communication avec le public est « audible ». Cette sensation de partage est l’émotion la plus intense qui soit.
GA : Parmi les noms disparus, quels sont les grands pianistes que vous vénérez ?
JMM : Certainement Richter, Arrau, Schnabel…Trois légendes, trois personnalités d’une grande liberté.
GA : Croyez-vous dans l’efficacité des méthodes de gestion mentale ?
MJJ : Je crois que tout ce qui contribue à l’épanouissement favorise notre capacité au partage de la musique.
GA :Un écrivain qui vous a marqué ?
MJJ : Stefan Zweig. Jeune, j’étais fascinée par le climat de ses ouvrages.
GA : Votre peintre préféré ?
MJJ : Soulages pour ses mystères.
GA : Que lisez-vous en ce moment ?
MJJ : Paul Auster.
GA : Ce qui peut vous mettre en colère ?
MJJ : L’injustice…pas tant celle qu’on pourrait me faire subir, je suis une privilégiée, mais celle infligée aux plus fragiles.
GA : Ce qui pourrait vous faire souffrir ?
MJJ : Chercher à être à une place qui ne serait pas la mienne, être dans l’attente d’une image qui ne me correspondrait pas.
GA : Etes-vous satisfaite de vos succès ?
JMM : Je me dis que j’ai de la chance… ! Ceci dit, j’ai beaucoup « ramé » pour être là où je suis. Des années vraiment difficiles après la sortie du conservatoire.
GA : De vos jeunes années, quel est l’enseignement qui vous reste en mémoire ?
MJJ : Celui de ma mère, très teinté de bouddhisme. Elle nous disait… « Il faut avancer léger… » J’y pense souvent, c’est une parole qui me guide.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 05/08/2004
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