Opéra de Marseille. Rigoletto de G. Verdi
Rigoletto est l’aboutissement de la pièce de Hugo traduite pour l’opéra par le librettiste de Verdi, F. M Piave. De cette oeuvre, Michel Butor a pu dire : « Le roi s’amuse a trouvé sa véritable forme dans Rigoletto. »
Partition complexe, immense succès populaire inclus dans la fameuse « Trilogie Verdienne » avec Traviata et Trouvère, c’est un opéra, concentré d’opéra. Le drame y est présent à chaque instant, musique et scène culminent sur des sommets, les personnages sont psychologiquement denses et profonds et l’intrigue avance à marche forcée jusqu’à la suffocation finale.
C’est dire que, pour un metteur en scène, les risques de sorties de route sont innombrables.
Arnaud Bernard tire honnêtement son épingle du jeu. Son Rigoletto est direct, explicite, sans fioritures, homogène en un mot. Peut-être alourdit-il le dernier acte d’un dramatisme qui se verrait mieux côté Vaisseau Fantôme, ce qui n’est pas ici le propos.
Grands et hauts décors d’Alessandro Camera, ceux-ci rendent bien l’ambiance machiavélienne d’un drame très Médicis. On s’étonne néanmoins de la présence à l’acte trois d’une embarcation bien trop grande pour la largeur des portiques par lesquels elle est censée être passée et de l’intérêt des maquettes palladiennes. Détails…
Rôle-titre, Carlos Almaguer assume un grand Rigoletto. Pétri de haine, de jalousie, mais formidablement lucide, de sarcasmes en imprécations, le baryton mexicain occupe constamment la scène. Il ne chante pas, il rugit, implore, supplie. L’organe est largement dépassé par l’être dans son entier. Acclamations.
Sylvia Hwang nous offre une Gilda vocalement superbe.
La voix va sur tout le spectre, agile, fluide, perlée, suave. Legato et projection servent une naturelle musicalité qui ne défaille jamais. Mais, scéniquement la soprano coréenne se tient trop sur la réserve. On l’aimerait plus mobile, expressive, moins angélique, plus évolutive dans la progression de son personnage, surtout à parti du « Caro Nome ». Mais elle évite l’écueil d’autres Gilda par trop frivoles.
Quant aux duos Gilda-Rigoletto (celui de l’acte 2 !), ils donnent au public l’occasion d’apnées record.
Face au père et à sa fille, le Duc de Mantoue manœuvre au mieux. Libertin moins cynique que Don Giovanni, le ténor albanais ne nous a pas pour autant subjugué. Voix sans grande amplitude, couleurs limitées, il souffre de la concurrence. Mais il occupe l’espace avec beaucoup de conviction.
Simple méforme sans doute, car son Cavaradossi en 2005 ici même était superbe.
Vladimir Matorin, basse russe, campe un Sparafucile qu’on aimerait assez ne pas croiser par une nuit sans lune. Colossal spadassin, il surine comme il chante, sans coup férir.
La direction de Paolo Arrivabeni est soignée, sobre, très (trop ?) analytique. L’orchestre phocéen se montre à son meilleur, distingué et très présent.
Il faut se souvenir que le premier titre de cette œuvre fut « Maledizione ».
Leitmotiv de Rigoletto, la grande réussite de cette production aura été d’installer ce sombre climat tout au long des trois actes. Et ainsi, de nous tenir en haleine hors du temps, trois heures durant. L’opéra, c’est vraiment çà…
Gérard Abrial
© Easyclassic - 22/12/2006
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