Louis Couperin par Pierre Chalmeau, piano.
Et l'oncle apparut…
Sans qu’on puisse inférer d’un quelconque rapport entre la qualité d’une interprétation musicale et celle de la lecture de livrets contenus dans les boitiers des CD et signés par l’artiste lui-même (hors traduction), il arrive que cette lecture selon les cas, au mieux nous mettra en empathie avec celui-ci, au pire nous indisposera.
Que sait-on de la réaction de notre inconscient (ou de notre cerveau) sur notre écoute après la lecture d’une notice confuse, incohérente, négligée et souvent pontifiante ?
Mais venons-en au fait.
L’ « avant écoute » du propos de Pierre Chalmeau est un modèle de clarté, de simplicité et d’intérêt didactique, l’emploi du « je » étant le bienvenu. Pas un mot de sabir musicologique. Les auditeurs des « Notes du traducteur » émission passionnante de Philippe Cassard sur France Musique, trouveront à la lecture de la prose généreuse et intelligible de Pierre Chalmeau une ambition similaire. Cette lecture confirme l’écoute. Se faire comprendre avant de se faire entendre ? Une vertu.
Dans la famille Couperin, je demande….
La dynastie Couperin est parcourue par une quinzaine de musiciens pour la plupart organistes ou clavecinistes. De notoriété inégale, tous ont occupé diverses fonctions musicales entre 1602 et 1778. (les plus modestes joliment nommés : « joueurs d’instruments ») La production considérable de François dit « Le Grand » dernier des Couperin, fait écran à celle plus réduite de son oncle tombé dans l’oubli jusque dans les années 1936.
Que retient ‘on de l’existence de Louis Couperin ? Une vie brève (35 ans) et un fait d’arme : celui d’avoir décliné l’offre d’un poste de musicien auprès de la cour royale. Rien de plus.
Un mystère.
Tout vient à point à qui sait entendre.
Hormis un bastion de résistance à cette pratique, la transposition clavecin/piano moderne est depuis bien des décennies communément admise. Cette « conversion » a d’ailleurs permis la découverte ou une plus ample diffusion d’œuvres de compositeurs du 18 éme siècle jadis servis par le seul clavecin, instrument peu propice à une révélation « grand public. » On se souvient de ces couples « modernes » à jamais unis : Clémenti/Horowitz, Bach/Gould, Rameau/Tharaud, Handel/Koriolov…On doit à Pierre Chalmeau l’heureuse apparition d’un Louis Couperin apparaissant « ex nihilo », hors de tout phénomène de mode.
De la prise de bec d’un clavecin au marteau feutré d'un piano
On se doute bien que la conversion d’une œuvre passant de la corde pincée à celle frappée (ici un Yamaha CFX de subtile facture) ne se réduit pas au seul déchiffrage de la partition originelle en direction de notre clavier contemporain.
C’est le résultat d’une longue maturation, d’un habile agencement des tonalités, d’un traitement particulier du contrepoint et d’une rhétorique musicale que la science de Pierre Chalmeau maitrise à chaque mesure.
Mais, à dire vrai, qu’on ne s’y méprenne pas. Malgré l’apport stylistique du piano, de sa dynamique, de ses capacités rythmiques, celles-ci ne convertiront pas les amateurs de boogie woogie à l’art baroque. Ces trois cycles de 25 brèves pièces demeureront des pages pour mélomanes instruits.
Malgré quelques allègres courantes, branles, gigues, voltes, qui rappellent ce que ces pièces doivent à la danse, la plupart sonnent graves, austères, mais non dépourvues d’une forme de sérénité et de confidence méditative bien émouvantes ( Tombeau de Monsieur de Blancrocher, Chaconne en ré mineur et en si mineur, Sarabande en ré mineur et en la mineur, Pavane, Prélude en la mineur..)
Le jeu de Pierre Chalmeau insuffle à ces pages une énergie empreinte d’une grande noblesse, d’une élégance rayonnante, d’un indéniable sens poétique dénué de toute affectation ou emphase. Sa maîtrise de ces courts récits confèrent à ceux-ci une diversité de ton, une expressivité remarquable, tout un art du rebond, de la souplesse, de la relance. Ainsi, l’ennui ne menace pas l’auditeur car timbres, couleurs, phrasés parfois syncopés ou imprévisibles, maintiennent toute son écoute en éveil.
Pierre Chalmeau, qui évidemment sait son Gould par cœur, ( son rejet de tout rubato, sa pédale forte économisée, ses tempi déconcertants…) se montre plus réservé quant à l’usage d’un staccato aussi radical que celui du génial canadien.
Le CD gravé par Pierre Chalmeau va au-delà d’un événement discographique. C’est une importante contribution au savoir musical Le plaisir en plus…
Gérard Abrial
www.easyclassic.fr
concerts@mailomanes.fr
PS : Notons que les imprudents amateurs de copier-coller sur Wikipedia en seront pour leur frais, l’encyclopédie numérique attribuant à Louis Couperin ( au paradis depuis 7 bonnes années) l’honneur d’avoir porté son neveu sur les fonds baptismaux.
PS 2: sortie 15 janvier 2016
© Easyclassic - 12/11/2015
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