La Roque Interview Jean-Efflam Bavouzet
Acteur de l’intégrale Schumann comme il l’était de celle Beethoven en 2003, Jean-Efflam Bavouzet a connu cette année une consécration : son intégrale Ravel a fait l’unanimité de la critique. Débordant d’activités… récitals, enregistrements…il est au piano comme dans la vie : incandescent. Et il proclame : « La musique me donne de l’énergie.. » Rencontre avec un « penseur passionnant » de la musique.
GA : Quelles sont les particularités de ce festival ?
JEB : Avant tout, un lieu de rencontres. Rencontres entre musiciens, rencontres avec le public. Ce parc, ces allées, ces trajets champêtres entre la scène et les loges sont des occasions de s’ouvrir aux autres. Ce n’est pas si fréquent. L’entente y est merveilleuse et René Martin, l’être le plus proche de nous. On peut tout demander. La prévention à notre égard n’a pas de limites… !
GA : Le public ?
JEB : Merveilleux d‘enthousiasme, chaleureux, attentif.
GA : Vous terminez à l’instant même cette monumentale intégrale de l’œuvre pour piano seul de Schumann en compagnie de vos six camarades. Comment vous sentez-vous ?
JEB : Epuisé.. ! La musique de Schumann requiert une énergie considérable. Elle est souvent survoltée, elle demande un engagement maximum. Bien que souvent on sort d’un récital en meilleur état qu’on y rentre, là, la mobilisation des énergies est telle (nous sommes sur scène trois fois par jour…) que je n’ai pas le temps de reconstituer mes ressources.
GA : Avez-vous ressenti le même effet pour l’intégrale Beethoven en 2003 ?
JEB : La « structure » beethovenienne offre une assise sur laquelle on s’appuie. Avec Schumann, tout est si mobile et en même temps si intense…
GA : Quelles sont les sensations que vous éprouvez avant d’entrer en scène ?
JEB : La tension, souvent le trac…Assez pénible. Sensations souvent identiques quelque soit le lieu où je joue. Ce qui est très différent, c’est ce que je ressens après. Si mon récital est réussi, je quitte la scène plutôt en bonne forme, régénéré. L’épuisement n’est selon moi, pas la preuve d’un exploit ! Plutôt l’utilisation de mauvaises énergies.
GA : Energies… ? Voila un terme bien fréquent dans votre vocabulaire.
JEB : L’énergie est tout selon moi. Et la musique n’est qu’une structuration dans le temps des énergies. Souvent énergie animal bien que très sophistiquée.
GA : Comment gérez vous ces énergies ?
JEB : Comme le marathonien qui sait doser l’effort, qui s’y prépare. A cet égard, Grigory Sokolov, écouté dans le cadre de ce festival, gère parfaitement son énergie, c’est assez stupéfiant.
GA : A la fin d’un concert, soulagement… ?
JEB : Quand ça c’est bien passé, un soulagement teinté de bonheur.
GA : Quel est le musicien qui guide vos pensées et vos actes. S’il n’y en a qu’un…
JEB : Un seul et le même : Richter et encore Richter.
GA : Existe-il de nos jours autant d’artistes phares qu’auparavant ?
JEB : Je crois que oui mais le niveau des autres a beaucoup augmenté.
GA : Vous est-il arrivé de perdre confiance en vous, en votre capacité à faire ce métier ?
JEB : Pour des raisons de santé, oui. J’ai perdu l’usage d’un doigt pendant
trois ans. Par bonheur, j’ai récupéré deux ans après et, de surcroît mes forces ont été décuplées.
GA : Une chose de notre société que vous déplorez ?
JEB : La musique en toutes circonstances. On traite nos oreilles comme des poubelles. On a perdu le sens de l’ « écoute ».
GA : Quels sont les compositeurs que vous ne jouez pas.
JEB : Chostakovitch et Brahms. Quoique je révise mon jugement avec ce dernier puisque je mets à mon répertoire son 1er concerto.
GA : Votre instant de bonheur parfait ?
JEB : Se dire à la sortie d’un concert : « si le compositeur avait été présent, il aurait applaudit… ! »
© Easyclassic - 09/08/2004
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