Festival de la Roque d’Anthéron Récital de Piano Chopin-Prokofiev
Yulianna Avdeeva 30 ans, une star aînée "
Une lauréate du prestigieux concours Chopin ne peut qu’être une valeur sûre et mature, ayant trouvé et prouvé sa personnalité musicale, ce qui ne présume ni assure en rien une gloire « ad vitam aeternam… » Yulianna Avdeeva, aujourd’hui 30 ans, est aussi, une « révélation la Roque. » Première apparition en 2011. Public conquis, presse unanimement louangeuse et notre moscovite, issue de l’impitoyable sélection de l’institut Gnessin, se voit réclamée par des agents aux trois coins du monde. Que dire qui la différencie d’une Kathia Buniatishvili ou une Yuja Wang ? Un jeu moins électrisant certainement, mais décanté, qui respire amplement, que l’on écoute les yeux fermés, qui conserve une forme de retenue dans les épisodes les plus virtuoses. Sans monochromie ni atonie néanmoins mais avec cette vertu propre aux véritables musiciens : la plénitude, une disposition émotionnelle toute proche de l’état de grâce. Les Chopin de Yulianna Avdeeva reflètent toutes ses vertus. Par le fait d’une technique largement maîtrisée, elle peut se livrer toute entière à une cette expressivité personnelle libre de toute dépendance digitale ou autre allégeance à sa partition.
Les Chopin de la jeune russe sont élégants, clairs, les plans sonores bien distincts, l’esprit des œuvres exprimé sans appropriation, le discours très cadré, organisé. C’est peut-être sur ce critère que la comparaison ( du moins dans Chopin) avec Rafal Blechacz ou Nelson Goerner, pianistes en rapport d’âge avec celle-ci, est très légerement défavorable à miss Adveeda. Le jeune polonais propose des points de vue plus divers, voire originaux. Quant à l’argentin, son jeu se distingue par une spontanéité plus vive, une vitalité plus immédiate, qui, pour faire grimacer les tenants d’un Chopin « stricto sensu », n’en est pas moins très plaisante.
Yulianna Avdeeva se distingue par une somptueuse et rayonnante sonorité, une projection qui ne sent jamais l’effort.
Changement à 180° avec la 8 eme sonate de Prokofiev, une œuvre à l’usage des plus audacieux cadors du clavier, dont le substrat est à mille lieus du monde musical de Chopin.
D’un intérêt fluctuant mais d’une difficulté constante, cette œuvre à la syntaxe si complexe (écrite pour Guilels, c’est dire…) parfois déroutante, aux accents sauvages, réclame une nature pianistique des plus affirmée. A la fin de sa version de ce sommet de la littérature pour piano seul, Yulianna Avdeeva, un doux et rayonnant sourire aux lèvres, reçoit une ovation similaire à celle offerte aux Lugansky, Volodos, ou Kissin, ses compatriotes masculins avec lesquels elle joue jeu égal.
Rendez-vous en 2016 sans la moindre hésitation.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 13/08/2015
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