Opéra de Marseille Mai 2014 Edouard Lalo Le Roi d’Ys
Un roi sauvé des eaux.
Rédiger un compte-rendu pour un Cosi ou une Butterfly vus vingt fois, requiert un effort bien particulier, celui de faire table rase de toutes les références antérieures pour éviter l’écueil de la comparaison-pas-raison. Mais, même si cet effort est louable, il se voit généralement entravé par nos mémoires visuelles et auditives, lesquelles réactivées, abolissent toute tentative de bienveillante neutralité envers ces œuvres du « grand répertoire. ».
Aussi, la découverte d’une partition inédite offre au chroniqueur un état bien agréable, celui d’une forme de virginité de tous ses sens critiques.
C’est dans cette disposition d’esprit que nous avons abordé ce Roi d’Ys que l’opéra de Marseille, avec audace, ressuscite.
Une envoutante ouverture.
Une longue ouverture de plus de 10 minutes, en s’amplifiant dans une veine quasi-symphonique, va plonger l’auditeur dans une atmosphère en demi-teintes et subtiles nuances.
Ce Lalo là confirme une science orchestrale, celle que l’on connait dans ses œuvres les plus fréquentées, concerto pour violon et Rhapsodie Espagnole.
Aussi, au lever de rideau, pouvons-nous sans plus attendre dire tout le bien d’un orchestre cohérent, révélant une assise sonore propre aux formations matures, constamment impliqué au service d’une musique riche, variée, très expressive. La complicité et la confiance des musiciens envers Lawrence Foster se perçoivent à chaque mesure.
Mais après la musique, les paroles…
Le propos du Roi d’Ys, pour ne pas être entièrement banal, n’en est pas moins assez convenu et désormais, usé par le temps. Lalo a mis en musique quelques « matériaux » parmi les plus employés au théâtre lyrique. Ici, un royaume breton ( plus d’opérette que d’opéra), un père qui offre sa fille pour sceller une paix avec des ennemis immémoriaux, des amours contrariées qui appellent vengeance, des trahisons familiales qui réclament une impérative expiation, l’intercession de saints locaux et, in fine, le fatal sacrifice, sacrifice rédempteur de l’héroïne Margared.
Toute cette emphase parfois d’une naïveté confondante, naturellement, date. Souvenons nous que Parsifal a précédé ce Roi d’Ys d’une petite décennie et que dans les airs flottent déjà les prémices d’un Falstaff ou d’un Peléas.
Casting d’enfer
A peine le rideau levé, voici que s’avance vers nous un duo dont on conservera longtemps l’émouvant souvenir. Ici sur scène, voici deux sœurs que tout sépare. D’une part, Inva Mula, blonde Rozeen au soprano magnifique, et d’autre part, Béatrice Uria-Monzon, brune Margared au mezzo rayonnant. Pris par un si beau duo, ce propos si suranné nous importe peu car notre plaisir tient tout entier dans ces deux voix parmi les plus remarquables des scènes lyriques.
Le répertoire de la suave albanaise, Inva Mula, est impressionnant. De Manon à Marguerite, de Traviata à Gilda, voici une cantatrice frémissante qui vit ses rôles avec une intériorité qui transforme chaque auditeur en confident. Nul effet ni procédé chez cette Rozeen qui, pour exprimer son désarroi, nous offre des pianissimo de la plus parfaite et élégante simplicité.
Si le rôle de Margared impose à Béatrice Uria-Monzon véhémence et soif de vengeance, la subtilité de son mezzo souple, projeté sans effort, laisse passer bien d’autres sentiments.
Longtemps sa « Carmen » a pesé sur sa biographie mais Béatrice Uria-Mozon, en admirable musicienne, s’est depuis illustrée dans un répertoire bien plus vaste.
Aux côtés des sœurs rivales, de grandes voix masculines et de très remarquables personnalités. Philippe Rouillon (le Karnak prétendant rejeté par Margared) Florent Laconi (Mylio, guerrier convoité par les deux sœurs) et Nicolas Courjal, roi d’Ys, à la prestance vocale comme physique impeccables.
Mais aussi…
Jean-Louis Pichon signe une mise en scène sobre, vive, acérée. Son traitement de la psychologie des acteurs de ce drame est d’une grande pertinence.
Mais toute sa maitrise de cette œuvre ne peut rien contre cet unique décor, austère, minéral, composé de hautes parois aux reflets de lames menaçantes. Celui-ci, s’il offre un cadre cohérent aux scènes « tragiques » ne convient certainement pas aux (rares) épisodes de liesse ou autres manifestations sentimentales. Mais on retiendra le superbe tableau final, vision saisissante de ces flots, flots qui, par le miracle de Saint-Corentin, épargne le peuple d’Ys mais emportent Margared résignée à mettre fin à ses jours. Margared sombre comme Senta, héroïne d’un certain Vaisseau Fantôme, allusion d’un Lalo qui ne résiste pas au raz de marée wagnérien.
Une résurrection réussie.
Malgré ses faiblesses littéraires et son romantisme vétuste, par la conjugaison d’une mise en scène pertinente, de l’admirable conviction des talents vocaux comme celle de la prestation orchestrale, il serait juste que ce Roi d’Ys, apprécié à sa juste mesure, dans une production de même niveau, prenne durablement sa place dans le monde de l’opéra.
L’opéra de Marseille a montré la voie.
Gérard Abrial
Easyclassic.fr
photo Christian Dresse
© Easyclassic - 15/05/2014
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