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Et le prince devint seigneur.

Depuis qu’il joue dans la cour des grands, Nicolas Lugansky porte un titre. Son physique distingué, ses manières réservées, ses tenues « grand style » et un jeu d’une suprême distinction l’ont ainsi consacré « prince du piano. » Mais le public présent ce 5 août à la Roque d’Anthéron lui a offert, à la fin de ce récital, une ovation royale. Et ce titre de seigneur, le beau moscovite, le mérite entièrement. A chacune de ses apparitions au parc de Florans, le constat est le même : une irrésistible ascension. Sur la forme, pour exemple, une musicalité somptueuse, un son toujours mieux projeté. Sur le fond, une pensée musicale profonde et sobre. Tout ceci, de la manière la plus élégante qui soit. Cette « élégance » à la Lugansky, on aurait pu craindre qu’elle suffise à l’artiste et ne finisse par n’être que vaine.
Bien au contraire. Son Chopin (sonate n°3) a démontré sa formidable capacité à élever simultanément cette magnifique disposition esthétique et sa vision personnelle de l’œuvre. Nous sommes ici dans un cas avéré de « surinterprétation » comme peu d’artistes s’y autorisent (aujourd’hui un Sokolov, jadis un Gulda). Avec Lugansky nous sommes loin d’un Chopin qui porte à une douce rêverie, inspire de la tendresse ou baigne dans la mélancolie d’un rubato de tradition. La hauteur de vue de son propos est telle que nous sommes à des niveaux de sensation proches d’un Beethoven. Et dans la rigueur, voire l’austérité de l’architecture, pas loin de Bach.
On pourra toujours objecter que la référence au chant italien que Chopin préconisait est ici peu rapportée. Mais qu’importe ! Les moyens superlatifs de Lugansky l’autorisent à des libertés qui pour autant ne sont pas des contresens. Car tout ici est d’un parfait bon goût, rien ici n’est jamais surligné et les opportunités de briller souvent négligées. Dans la seconde partie de son programme, un Rachmaninov souverain avec juste ce qu’il faut de grand piano hollywoodien. Mais, en regard de Chopin, ces pages pour piano hédoniste ne peuvent rivaliser avec les moments célestes de la première partie.
Nicolas Lugansky nous a donné la musique que nous aimons : celle qui nous porte hors du temps et de l’espace, celle qui nous rend lointaine la réalité qui nous entoure.

Gérard Abrial.

© Easyclassic - 07/08/2006