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Roque Récital de Denis Matsuev

Festival de la Roque d’Anthéron
eudi 2 août 2007

Comme son aîné Grigory Sokolov, Denis Matsuev a le bis généreux. L’aurait-on cru épuisé après un Moussorgski et des Rachmaninov sous haute tension ? Non. Le sibérien quittera la scène après cinq rappels et pas des bluettes.
La comparaison avec le géant Sokolov n’est pas innocente. Osons cette filiation, quitte à faire froncer des sourcils. « Ecole russe » évidente. Piano dompté, creusé, fouillé, auquel on arrache des rugissements. Denis Matsuev a une telle conviction dans ses moyens techniques qu’il n’a plus qu’à jouer la musique qu’il éprouve au fond de lui, celle de l’instant, celle qui semble naître sous les doigts. Parfois, il semblera même improviser. « Jazz.. ! » cria un spectateur. Mais, oui, sous les doigts de cet amateur de jazz, c’est Monk qui parfois se profile.
Ce fameux débat au sujet des Tableaux d’une Exposition de Moussorgski (version piano ou orchestre ?) Matsuev le règle. Simple et évident : inviter un orchestre dans son Steinway. Convoquer cuivres, percussions, cordes et décrire ces tableaux : couleurs étincelantes du marché de Limoges, traits ironiques et sarcastiques de Schmuyle et Goldenberg, (quelle main gauche !) arrogance de la poule Baba Yaga, tutti majestueux de la Grande porte de Kiev…
Notre jeune sibérien est avant tout un fabuleux conteur, un narrateur prodigieux. Que demande t’on à cette musique à programme si ce n’est de nous enchanter, nous envoûter, nous ensorceler ? Les deux Etudes-Tableaux et la sonate n°2 de Rachmaninov vont confirmer l’ aisance et le goût prononcé du jeune lauréat du concours Tchaïkovski 1998 pour la virtuosité romantique. Mais une virtuosité toujours maîtrisée (clarté des plans sonores, extrêmes fortissimo jamais saturés) car Matsuev ne perd jamais la logique et la cohérence du récit. Et il se montre aussi capable dans les passages lents, d’un épanchement, d’une poésie, d’une douceur d’un parfait bon goût. De tels phénomènes existent mais parmi eux, certains ne dépassent pas cet état.
Denis Matsuev occupe la scène comme peu d’artistes savent le faire, insuffle à ses œuvres une vie intense et enthousiasme le public. C’est du grand spectacle.
Tout comme on ne défierait pas une météo force 10 à chaque sortie en mer, on ne pourrait affronter des Matsuev tous les soirs. On a besoin pour reprendre son souffle d’écouter les Tharaud, Momo Kodama, Freire, Queffélec ou Cassard à venir. Le bonheur musical vient de la rencontre avec des talents multiples et divers. Afin de ne plus se limiter à « n’aimer que » mais à « aimer aussi... »

Gérard Abrial

© Easyclassic - 05/08/2007