Grigory Sokolov au temple de Lourmarin.
Au sixième bis, une Mazurka de Chopin, Grigory Sokolov qui jamais ne sourit , prend congé d’un public ruisselant de bonheur, de sueur, de ferveur. Au temple de Lourmarin, la température avoisine les 40° et pourtant, les adieux se font à regret.
Trois heures auparavant, un homme en frac, le visage sévère, entame la sonate en la de Bach d’après Rheinken. Aux premiers accords, la cause est entendue. Architecture grandiose, clarté polyphonique aveuglante, liberté rythmique quasi-désinvolte, souffle passant avec une vitesse ahurissante de la tornade sonore au zéphyr à peine audible, toute cette lecture est néanmoins irriguée d’une poésie au point de croix.
Dans la foulée, une transcription pour la main gauche de la chaconne de la Partita pour violon n°2 de Bach par Brahms. Exercice périlleux par la tentation de la démonstration technique mais ici aussi Sokolov évite l’écueil et fait entendre toute la polyphonie d’un violon dans une série de variations aux couleurs infiniment contrastées. Immense Bach qui projette son ombre sur le russe Sokolov.
Du cycle des 32 sonates pour piano de Beethoven, les n° 9 et 10 de l’opus 14 et n° 15 dite « Pastorale », ne sont pas les plus courues.
Ce sont les œuvres d’un compositeur qui, de son poing, ne menace pas encore les cieux . Elles ont en commun un esprit en apparence libre de tout tourment.
Mais Sokolov, de Beethoven, n'a pas cette vision et poursuit une logique, logique de l’interprète qui ne s’autorise que de lui-même. Contrastes violents, climat de véhémence, lignes tendues et retenues, effluves fugaces de tendresse, on pourra ne pas adhérer à cette vision. Mais, l’intensité dramatique insufflée à ces sonates produit un effet si hypnotique et implacable que la raison ( « mais que fait t’il ! ») cède devant la ferveur musicale. Se laisser emporter par le torrent et advienne que pourra..! Face au colosse Sokolov, la tête de l’auditeur ne suit pas. Mais, le faut t’il ?
Ce concert, comme tous ceux que le russe austère et impénétrable donne ici depuis des années, fera date.
Quelques mélomanes qui en ont vu d’autres citent Richter ou Guilels. On laissera à Sokolov son exclusivité. Parce que c’est lui, parce que ce fut nous, et que nous, nous fûmes ce soir là ivres de musique et de bonheur.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 23/07/2003
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