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Chorégies d’Orange
Juillet 2010

Et Tosca se tût…

Il est minuit passé ce 18 juillet 2010 et Tosca, faute de tour du château Saint-Ange, ne se précipitera pas dans le Tibre.
Dans la version signée Nadine Duffaut, l’héroïne, anéantie par la mort de Mario qu’elle pensait pouvoir sauver de la balle meurtriére du sbire de Scarpia, le plus sobrement du monde, disparaît par l’ouverture pratiquée dans l’immense tableau qui occulte le mur de scène.
La baguette de Mikko Frank demeure suspendue, l’obscurité fond sur le public, qui dans un silence absolu, retient son souffle.
Fin saisissante, inhabituelle, inattendue.
Cette mort suggérée, sans un cri, sans un geste, contient en elle une force incomparable : celle de l’inexprimé et de l’invisible. L’amateur d’opéra apprécie toujours une mise en scène qui lui épargne une explication de ce que lui-même a compris, pressenti, présumé. Eloge de l’implicite.
De ce point de vue, on sera reconnaissant à Nadine Duffaut d’avoir eu la main légère. Pas de démonstrations alambiquées ni d’effets appuyés, une direction d’acteur fluide, linéaire, une version intelligente et simple. A la lecture des vertus de cette mise en scène, que font les « victimes » de celle du Don Giovanni aixois ? Ils ruminent

Du haut de son mur, Auguste Imperator aura vu bien des productions qui, enivrées par la grandeur du lieu, auront sombré dans le grandiose et le grandiloquent.
Mais, malgré une grande intelligence de la « gestion » de l’espace, Nadine Duffaut n’aura pas pu éviter que l’ « âme » de Tosca n' abandonne une part de sa densité psychologique au gigantisme de ce théâtre et ne perde l’essence de ce huis-clos alimenté pour l’essentiel de sexe, de pouvoir, de rivalité…
Nihil novi sub sole…
Dés son entrée sur scène, Roberto Alagna démontre l’aisance physique et vocale de son Cavadarossi. La souplesse de sa démarche, sa décontraction nonchalante font écho à ce tonus vocal, à cette prononciation comme toujours parfaite, à ses phrasés aussi irréprochables que naturels. Mais…à force d’aisance et de facilité, son Mario apparaît un rien « en roue libre. »
Son "E lucevan le stelle" ne résiste pas à la version d’un Jonas Kaufmann plus investi.
(http://www.youtube.com/watch?v=lKWZqhtWNGQ&feature=related)
Plus nombreuses et fondées sont nos réticences envers Catherine Nagelstadt. La soprano américaine se sentait t’elle menacée par quelques gardiens des bonnes mœurs répartis dans le public?
Pour le moins qu’on puisse dire, ses étreintes du 1er acte avec le peintre furent plus que décentes, distantes, décevantes même pour une amoureuse dépeinte comme jalouse et possessive. Et la voix souffre d’une projection limitée, d’une ligne de chant incolore, d’une expressivité modeste.
Mais, assez neutre comme amante de Mario, la Tosca de Catherine Nagelstadt se révèlera tragédienne convaincante pendant la confrontation avec Scarpia. D’un simple état d’esprit, elle évolue vers une psychologie toute en nuances. Et là, la voix suit, plus ample, plus suggestive, faisant entendre un legato plus mélodieux.
D’abord hésitante face au tyran, elle ne tardera pas à défendre bec et ongles sa cause et celle de son amant, jaugeant les réactions du tortionnaire. Et sa main ne trembla pas à l’heure d’un meurtre dont nous sommes volontiers complices. Que dire de son « Vissi d’Arte » ? S’il fut applaudi, il ne fut pas acclamé.
Scarpia, le baryton-basse Falk Struckmann possède la carrure et la présence qui conviennent à un exécuteur de basses-œuvres. Mais on lui fera grief de s’être figé dans une même attitude, celle d’un Mussolini d’opéra constamment jambes écartées, torse proéminent, machoire menaçante. Cette scène, la plus intense de cet opéra, aurait gagné à être plus nuancée, psychologiquement plus fouillée. Tout de même… ? N’y joue t’on pas sa vie et sa mort… ?
Le succès de cette production doit beaucoup au Philharmonique de Radio-France et a son chef invité, Mikko Franck.
A 31 ans, le finlandais est considéré comme une des trois ou quatre valeurs les plus sûres et originales du monde musical. Pas une subtilité puccinienne qui ne soit mise en lumière par ce jeune homme à la présence irradiante.
Une direction analytique, une autorité naturelle, une grande distinction des couleurs et des timbres …le Philharmonique de Radio France joue sur un petit nuage. Cette écoute fera taire à jamais les détracteurs d’un Puccini réputé massif, monolithique et parfois sans distinction.
Sans que cette Tosca soit élue parmi les grandes productions des Chorégies, on la gardera en bonne mémoire pour la sobriété de sa mise en scène, l’appréciable tenue de son plateau lyrique et surtout pour son orchestre, non pas applaudi mais…acclamé.

Gérard Abrial
www.easyclassic.com

© Easyclassic - 28/07/2010