Récital Nicolas Angelich-Franck Braley
Musicales du Luberon
Samedi 10 mai 2008
Marielle et Katia Labèque ? Aucun doute, sœurs elles sont, trait pour trait.
Nicolas Angelich et Frank Braley ? Difficile de les faire passer pour frères, l’un grand et massif, l’autre mince et de taille moyenne.
Mais ce duo de faux frères relève d’une gémellité musicale hors du commun. En ouverture de programme, une œuvre majeure, la Fantaisie en fa de Schubert « sonate » en quatre mouvements enchaînés, si vertigineuse par ses soudains contrastes entre modes majeurs et mineurs et ses fulgurantes ruptures de rythme.
Que ce soit à l’unisson comme dans les parties dialoguées, dans les passages de mains croisées, dans la conduite du discours et jusque dans le style de leurs phrasés, tout n’est qu’écoute mutuelle, entente et connivence pour ce jeu à 4 mains.
Frank Braley est un excellent communiquant. Son avant-propos sur la sonate op 110 de Beethoven donne des clés d’écoute d’une œuvre riche et complexe. A son clavier, Frank Braley ne passe pas à côté de ce chef d’œuvre. Il en maîtrise la moindre double-croche, le restitue généreusement, lui imprime son sceau avec beaucoup de probité.
Mais nous ne serons pas convaincus par la « conversion » de la parole à la musique. La musique (quand elle n’est pas l’émanation d’une œuvre littéraire, picturale, d’un récit historique, c'est-à-dire « musique à programme » ou opéra) doit elle « nous parler ? »
Il nous semble que Frank Braley cherche à confirmer au piano son avant-propos, en « verbalisant » certains passages, plus « démontrés que montrés » plus explicites qu’implicites. Cela se perçoit dès l’Allegro par un défaut de spontanéité, cette même spontanéité qui justement caractérise toute l’œuvre jusqu’à la dernière fugue, jubilatoire.
La magie de la musique n’est-elle pas justement de ne procéder que d’elle-même pour être son propre récit et demeurer un événement sonore qui ne traduit rien qui n'émane de sa propre substance ?
A quelle distance de la partition l’interprète doit il se tenir ? Il faut un Glenn Gould pour affirmer, génial provocateur : « Je me refuse de penser que l’acte recréateur soit différent de l’acte créateur. » Vaste débat.
On savait Nicolas Angelich magnifique brahmsien (cf ses Klavierstücke) Il nous le confirme dès la première de ces quatre ballades op.10. Du chœur de l’admirable église de Ménerbes émane une musique qui pour être profane, va prendre une dimension presque spirituelle. Confondant de naturel, de simplicité, de profondeur de pensée, Angelich nous offre des Ballades mystérieuses, brumeuses, décantées, riches de nuances, pour tout dire, quasi hypnotiques. La jeune génération de mélomanes qui n’a pas connu Julius Katchen trouvera en Nicolas Angelich un interprète majeur de Brahms.
Pour clore ce concert, le duo Angelich-Braley se reforme.
Cinq Danses Hongroises à quatre mains de Johannes Brahms pour notre grand bonheur. La Danse n° 3 en fa sera un pur régal entre alacrité et espièglerie, « humeurs » assez inhabituelles chez Brahms.
Une soirée grande classe en lever de rideau sur la saison des Musicales du Luberon 2008.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 12/05/2008
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