Musicales du Luberon 2017 22 juillet Carrières de Lacoste Les chroniques de Gérard Abrial
Des Didon à foison
Au commencement, soit 70 ans avant l’ère chrétienne, naquit la Didon de l’Eneide de Virgile. Puis, celle qui plus tard fut la future Reine de Carthage, va inspirer d’antiques poètes et littérateurs avant d’apparaitre à la scène dès le 17 eme siècle. Telle une Lucia di Lammermoor avant l’heure, celle-ci, à la perspective de devoir épouser le roi de Lybie Hiarbas (un patronyme qui à lui seul appelle le suicide) se supprime. Selon les livrets, par le feu ou le fer. Il faut dire que l’époux désigné inspire à Didon une sympathie à peu près équivalente à celle que plus tard suscitera le raïs Kadhafi.
Ces amours contrariées, (nihil novi sub sole… !) vont alimenter quantité de Didon. Citons les Didon ( Abbandonata ou pas) » nées du livret de Métastase, puis mis en musique par des Niccolò Piccinni, Francesco Cavalli, Saverio Mercadante pour les plus dignes d’intérêt.
Mais en cette soirée de ce 22 juillet deux Didon furent interprétées : celle d’Henry Desmarest (1661-1741) puis celle d’Henry Purcell (1659-1695)
Henry Desmarest , élève de Lully, sur les traces de Charpentier, fit une longue carrière de musicien de cour, notamment pendant le règne de Louis XIV.
Desmarest, tragédie lyrique, révèle sans tarder sa propre personnalité. La fusion entre la musique, les airs et les récitatifs vient avec naturel et démontrent un sens affirmé de la psychologie des protagonistes évitant autant que faire se peu les manifestations souvent outrées, ampoulées des opéras de cette période.
Mais, en lever de rideau à la Didon de Purcell qui va suivre, celle de Desmarest demeure sanglée dans les conventions de son époque. Cependant la musique y est raffinée, expressive, mouvante. L’effectif choral et instrumental, dirigé par le soin « vivace » de Paul Agnew produit un effet plaisant mais volatil néanmoins.
Purcell, une (rare) gloire britannique
Brexit mis à part, ce n’est pas dénigrer l’Angleterre que de constater son infertilité en matière de compositeurs de quelque importance. Handel étant un cas particulier, citons néanmoins les créateurs les plus rayonnants: à la fin du 16 eme siècle, John Dowland et William Byrd, au 17 éme, Orlando Gibbons et Henry Purcell et au 20 eme, un sursaut avec Edward Elgar, Franck Bridge, Vaughan Williams, Benjamin Britten et John Taverner.
Pendant la période baroque, un genre unique vit le jour, celui des « mask » ou « semi-opéra ». Il se résume à son seul compositeur, le très distingué Henry Purcell. Malgré ses plaisants « Indian Queen, « Fairy Queen » ou « King Arthur » qui déméritent pas, ces œuvres demeurent néanmoins confinées à un genre hybride plus théâtral que musical. Seul, son « Didon et Enée, » en dépit de sa brièveté (une heure) se pare du titre : « Opéra ».
Bien qu’isolé par l’opéra italien et français du 17 eme siècle, c’est une œuvre qui s’exporta dans l’Europe entière ne quittant jamais l’affiche tant elle possède de belles vertus.
La Didon de Purcell, malgré ses trois siècles, demeure une oeuvre extrêmement séduisante. Partition idéale pour découvrir l’univers lyrique de son auteur: une durée modeste, un récit vif et concis, dramatique, très caractérisé, des acteurs-chanteurs engagés et, last but not least, une musique extraordinairement envoûtante. « Chef d’œuvre racinien, l’un des plus émouvants du répertoire » (R.de Candé) cette Didon, contrairement à « King Arthur » ne requiert pas de machineries et de décors sophistiqués. Sa simplicité, sa pureté, reposant sur un livret (passablement sibyllin) signé Nahum Tate, sont ses plus grands mérites. Les jeunes élus de l’Académie d’Ambronay, incubateur à talents venus des des quatre continents, s’en donnent à chœur joie, parodiant à qui mieux mieux, les sujets de cette œuvre toute imprégnée de fantaisie et d’humour (« sabbat grotesque, digne de Disneyland ou de Halloween » Télérama), malgré l’inévitable départ de Didon pour des contrées ignorés des GPS i L’enchantement et le non-sens chers à l’Angleterre est nourri par les interventions d’un « Deus ex machina » composé de « sorceress » et autres « witches » (la différence nous étant inconnue…) A la scénographie, ici résumée à la seule expressivité lyrique, vient s’adjoindre, inattendue, celle facétieuse d’excellents instrumentistes. Aux quelques réserves sur un plateau vocal inégal, parfois par souci de bien faire, maladroit, il nous faut complimenter celui-ci par le soin apporté à la diction et à la prononciation d’un effectif essentiellement non-anglophone.
Cette œuvre comporte une succession de « tubes » instantanément mémorisés et donc inoubliables. Parmi eux, le grand air de Didon, « Ah ! Belinda ! am pressed with tourment », aveu de sa passion pour Enée. « On est transporté aux plus sublimes hauteurs tragiques… » Quant au fameux « lamento » conclusif de Didon ( When I am lead in earth… ): « jamais, sans doute, un chant aussi beau et aussi simple n’a servi le drame de façon si adéquate, jamais musique jusqu’alors n’a été aussi exactement adaptée aux mots et aux sentiments.. » (R. de Candé)
Ovations par un public pour 62 minutes revenu à la candeur de l’enfance.
GA
Discographie conseillée
Les Arts Florissants
William Christie, direction
Erato 1995
Un des plus beaux Didon dans une discographie foisonnante.
Obsolescence non programmée.
© Easyclassic - 26/07/2017
|