Musicales du Luberon Les chroniques de Gérard Abrial
Edna Stern – piano
Marc Coppey – violoncelle
L. van Beethoven : Sonate n°4
F.Schubert : Sonate Arpeggione
R.Schumann : Fantasiestücke op 73
J.Brahms : Sonate n°2 opus 99
Romantiques Airs de Famille
En fins connaisseurs de l’esthétique musicale de la Vienne du 19 éme siècle, Edna Stern et Marc Coppey ont pensé un programme idiomatique du « classicisme dépassé» de la dernière décennie de Beethoven à un romantisme totalement affranchi des principes ultérieurs, selon Schubert, Schumann et Brahms, chacun exprimant singularité et sensibilité. Des hommes et des œuvres…
« Ils se sont tant admirés… »
Au-delà d’un récital, c’est un théâtre d’ombres où se meuvent quatre génies.
Il n’est pas innocent qu’Edna Stern et Marc Coppey, aient monté ce programme en pensant à un fil rouge se déroulant depuis Beethoven et Schubert, jusqu’à Schumann et Brahms. Nos deux artistes et d’autres mélomanes éclairés, savent que ceux-ci ont eu en commun, l’un à la suite de l’autre, de s’être connus, admirés et/ou inspirés.
A un point tel, que, même au-delà de l’au-delà, trois d’entre eux (Beethoven, Schubert et Brahms) partagent une terre commune, celle du cimetière central de Vienne. Les amateurs d’irrationnel dont je suis, savent qu’à la nuit tombée, tous trois veillent à la bonne exécution de leurs œuvres. Privilège d’immortels…
A la suite de ce concert, du haut de leurs nuages, ils peuvent être rassurés.
L.V.Beethoven : (1770-1827)
La chronique de l’époque l’assure, Beethoven, vieux maître atrabilaire, aurait reçu Franz Schubert peu avant sa mort. On sait la vénération paralysante du jeune viennois pétri d’une humilité maladive. Il est rapporté de bonne source que Beethoven, féroce dénonciateur de la moindre faute d’harmonie, s’inclina devant les partitions du jeune transi. Lucide, il déclara : « Celui-ci me dépassera.. » Prédication malheureusement tardive, Schubert disparaissant 20 mois plus tard, à l’âge de 31 ans.
Ce qui domine aux premières mesures de l’Andante de cette sonate, est une grande liberté de ton, une absolue émancipation des formes en cours dans le domaine de la musique de chambre. Cet « esprit visionnaire» purement beethovenien se dilatera jusqu’au génie tout au long de l’ultime décennie du compositeur. L’Allegro vivace témoigne de la complexité si audacieuse des échanges entre les deux instruments, phrasés tendus et âpres du violoncelle de Marc Coppey, profondeur polyphonique et vitalité rythmique du piano d’Edna Stern. Les accents méditatifs, parfois élégiaques alternent avec les bourrasques sonores, les traits véhéments de l’allegro conclusif donnent le sentiment d’une improvisation exaltée.
Malgré l’investissement de notre duo, un Beethoven pas des plus accueillants
F.Schubert : (1797-1828)
« Qui peut faire encore quelque chose après Beethoven ? » déplorait Schubert.
Si la rencontre « physique » entre Franz et Robert Schumann n’eut pas lieu, elle le fut avec Ferdinand, son frère. De celui-ci, Schumann, à Vienne en 1839, reçu quelques brassées de partitions et redonna vie à Franz en jouant ou faisant jouer quelques œuvres majeures du compositeur le plus injustement traité par la vie.
Prenant congé de celle-ci, on sait qu’il murmura : « Est-ce que je ne mérite pas une place sur cette terre ? »
Célébrissime et impérissable, cette sonate « Arpeggione » tient son nom de l’instrument qui l’inspira. Mais, la difficulté de sa pratique, le peu d’intérêt suscité auprès de compositeurs, auront eu raison de son avenir.
Contrairement à Beethoven, ici Schubert, aux premières mesures, nous captive et nous émeut. On aura cependant noté un net retrait du piano d’Edna Stern.
« Schubert ayant le désir de mettre en avant l’instrument bientôt déchu, c’est délibéré…» nous dit ‘elle.
Schubert, en très tardive voie de reconnaissance, n’aura de son vivant, jamais entendue cet Arpeggione.
R.Schumann (1810-1856) Fantasiestücke op. 73
Au terme de son existence, Robert Schumann, l’esprit égaré, depuis son asile d’Eisenach, « entre dans le rien. » (M.Schneider) Il confesse : « (…) A Beethoven, le feu, à Franz Schubert le rien. Il ne me reste moi aussi qu’une chose : le rien. » Bien que leurs univers furent, non opposés mais dissemblables, Schumann vénérait Schubert, comme Schubert adulait Beethoven, tout comme Brahms, plus tard révéra Clara et Robert.
La complexité d’exécution de cette pièce tient au mystère du climat qu’elle exprime : celui des divers degrés des mélancolies schumaniennes traversés par de soudains éclats d’humeurs lumineuses.
Episode des plus aboutis de ce récital, ces échanges entre deux instruments qui se fondent dans des entrelacs de chaudes sonorités. Frénésie, passion, exubérance…Les voix intérieures de Schumann, no limit, presque inquiétantes, se font entendre… Edna Stern et Marc Coppey, irradiants.
J.Brahms (1833-1897) Sonate n°2
En 1853, âgé de 20 ans, Brahms se présente à la porte du couple Schumann à Düsseldorf.
Coup de foudre réciproque, complicité musicale et humaine…
« Il est venu cet élu, au berceau duquel les grâces et les héros semblent avoir veillé. Son nom est Johannes Brahms (…) » écrit Robert.
A la mort de celui-ci, trois ans plus tard, Johannes éprouvera une passion pour Clara, la jeune veuve. A celle-ci, Brahms dédiera quelques belles partitions et entretiendra une amitié (uniquement épistolaire, donc platonique) durant prés de 40 ans.
Ici, aucune hésitation, c’est le Brahms le plus identifiable qui soit. Hyper-romantique, fidèle à des formes traditionnelles mais novateur dans son langage. Paradoxalement, celui-ci hérissa un Hugo Wolf dénonçant un « tohu-bohu qui serait sauf de la musique » quand Schönberg voit en Brahms, un « progressif »
Comprenne qui pourra. Le compositeur, loin des turbulences que son art suscite trace son propre chemin. Pas de préalables, dès ses mesures initiales, l’échange entre les deux instruments se fait majestueux, viril, complexe, aux limites de la saturation sonore.
Le dialogue entre les deux instruments, de l’affrontement combatif, se mue en une confrontation rayonnante et apaisée.
Si d’Edna Stern, familière des Musicales, nous connaissons sa radieuse personnalité musicale, la découverte de Marc Coppey est bien conforme à sa réputation, celle d’un violoncelliste de tout premier plan, au jeu viril, aussi affirmé que rayonnant, ponctué de prises de risques parfois funambulesques.
© Easyclassic - 09/08/2016
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