Chronique de La Roque 2006
Lors d’une promenade nocturne, une jeune femme confesse à son époux son infidélité. Et plus encore. De l’homme qui est son amant, elle attend un enfant. Durant toute cette nuit, tous les tourments que provoque cette situation seront évoqués. Au point du jour, l’époux accordera son pardon et promet de prendre soin de l’enfant.
La musique est par essence implicite. Mais si elle n’est pas que pure production sonore, elle peut aussi prendre modèle sur un texte littéraire, nous raconter une histoire.
Il en est ainsi pour la « Nuit Transfigurée » d’Arnold Schönberg, sur un poème de Richard Dehmel.
Cette œuvre illustre pour moi la plus fulgurante expression du pouvoir de la musique de chambre. Il suffit de connaître son argument pour éprouver lors de son écoute, un foisonnement extraordinairement complexe de perceptions. Les mots clés : « nuit, aveu, accablement de l’époux, angoisses la jeune femme, aube, pardon… » qui parcourent la trame du récit, passent miraculeusement du son à l’image par l’alchimie du dialogue des six archets pour lesquels l’œuvre fut crée par Schönberg en 1899, première œuvre du compositeur viennois. Le Schönberg d’ici n’est pas celui de Pierrot Lunaire ou d’Erwartung en gestation. Post-romantique et parfaitement tonal, on n’aura aucune raison de le redouter.
On ne pourra lors de cette écoute faire l’impasse sur le mot « catharsis » ajouté au concept de « ravissement esthétique » (Bénac). Se laisser envahir par cette œuvre, c’est mesurer à quel point la musique écoutée « les yeux fermés » peut induire en nous images, sensations, bouleversements émotionnels totalement inattendus. Je ne connais pas de musique qui allie avec autant de force matériau acoustique et idée et qui aille si loin dans l’ascendance du monde des sons sur la psyché. Cette « Nuit » de trente minutes d’une extrême tension, une sorte d’apnée auditive, ne s’apaisera qu’à la toute fin de la partition.
La version qui nous est proposée ce lundi 21 août est une rareté puisqu’elle ne reprend pas l’effectif habituel du sextuor ou de l’orchestre à cordes mais celui du trio piano/violon/violoncelle dans une version signée Eduard Steuermann.
Boris Berezovski, Dmitri Makhtin et Alexander Kniazef sont des artistes qui ne craignent pas le diable et dans leurs assauts vont même jusqu’à le provoquer. On ne peut rêver mieux que ces interprètes pour transfigurer cette nuit à venir.
© Easyclassic - 20/08/2006
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