Lacoste: Un Enlèvement sur ses rails.
Anticipant une année 2006 qui s’annonce très mozartienne, trois opéras du divin Wolfgang sont aux programmes des festivals d’Aix-en-Provence et de Lacoste.
On peut, sans l’ombre d’un doute, affirmer que c’est dans les carrières du château du marquis de Sade et non pas dans la cité de Mirabeau que notre cher Mozart aura été le mieux accueilli et célébré.
Ne revenons pas sur la déception, notamment vocale, qu’aura été le Cosi-Chéreau, ni sur une Clémence pour laquelle les aixois, n’en eurent aucune.
Parlons clair. Ces mous et remous d’un public dépité ne viennent-ils pas à point nommé pour qu’on rappelle quelques valeurs qui font souvent défaut à ceux qui conçoivent l’opéra : on s’y rend d’autant plus volontiers que la plus grande place sera réservée aux voix et à la musique, que la mise en scène, pour sophistiquée qu’elle soit, demeure compréhensible et que les intentions intellectuelles ou esthétiques ne deviennent pas d’obscures luttes de pouvoir entre les concepteurs de l’œuvre pour se parer des plumes du paon.
On redoute ces mises en scène, parfois bien cuistres, infligés à un public qui, pour être exigeant, souvent n’en demande pas tant.
En ce sens, l’ « Enlévement au sérail » de Lacoste 2005 nous aura plu et rassuré.
On sait que depuis sa naissance en 2002, ce festival porté par Pierre Cardin et mis en œuvre par Eve Ruggieri, a entrepris de produire une série de Mozart, dont les points forts auront été la révélation de voix toujours très séduisantes. Et, en ce 19 juillet, nous fumes de belles surprises en ravissements et in fine, en coups de cœur. Pour permettre aux voix de ce « Singspiel » bien compris de s’épanouir, Paul-Emile Fourny se sera gardé d’une mise en scène qui se pousse du col au profit d’une direction d’acteurs sobre et pertinente. On aura eu la main légère sur les décors ou sur des complications scéniques auxquels ce lieu ne se prête guère, laissé le déclin du jour faire son travail de coloriste sur les murs nus des carrières et permis au spectateur de s’abandonner à la beauté minérale, étrange et pure de cet écrin intime dont l’acoustique est sans reproche.
Bruno Ferrandis, à la tête de l’Orchestre de Cannes, chercha et trouva un tempo agréable et stable, obtint souvent cette richesse et cette diversité de timbres à laquelle Mozart tenait tant et évita les assauts sonores de l’arsenal des percussions à visée « turque ».
Hormis deux apparitions chorégraphiques qui n’ajoutent rien au propos, la progression psychologique de ce livret, assez sommaire, fonctionne simplement et sans à coups.
Pour autant, simple n’est pas simpliste. Loin d’une version de concert, les personnages, parfois réduits à des archétypes dans d’autres mises en scène, prennent vie peu à peu et donnent à voir et entendre densité et nuances. Une tension parcourt les (ici) deux actes de l’œuvre et, ce qui se donnait pour une intrigue prévisible, laisse place à une tension riche de l’amalgame des sentiments des six protagonistes.
Pavo Breslik, Belmonte, dès le début de l’œuvre, nous gratifie d’une belle voix bien projetée, stable et ample. Il se meut élégamment et ne surjoue pas dans le rôle de l’amant torturé par la disparition de sa belle Constance.
Belle et digne Constance en effet. Jane Archibald prend la meilleure part de cette distribution par une émission d’une grande pureté, une ligne de chant très stylée, un légato souple et des pianissimis frémissants. On aurait aimé parfois plus d’implication sensuelle dans ses duos avec Belmonte. Mais, une bien séduisante mozartienne nous a été révélée. Philippe Kahn-Osmin le turc, gardien du sérail, belle diction, port de voix puissant, faraud mais pas uniformément dupe, a fait preuve de beaucoup d’abattage dans ce rôle essentiel qui tient l’action et distribue les entrées et sorties des personnages.
Loïk Félix- Pédrillo aura magnifiquement occupé la scène. Beaucoup d’aisance vocale et de souplesse de timbre pour ce Pédrillo facétieux à souhait et très attachant. La scène du « vin » entre lui et Osmin est d’une drôlerie quasi-loufoque.
Acclamée pour ses qualités de comédienne comme de soprano, Debra Fernandes Blondchen est l’archétype d’une mozartienne très naturelle et expressive, dotée d’une belle musicalité. Dans son dialogue avec Osmin au début de l’acte 2 ( « Bassa hin, Bassa her..) elle touche au plus juste et nous convainc sans réserve.Jean-Marc Salzman-Sélim, juste mais raide, constamment sévère dans sa sveltesse et sa blondeur de turc admise de longue date par la communauté européenne, nous fait toutefois regretter quelque ottoman à bedon et moustaches. Son pardon final est touchant de sobriété et de sincérité.
Le sublime quatuor du second acte, tant attendu, fut beau à emporter avec soi pour passer l’hiver à l’image parfaite d’une pureté mozartienne qui nous va droit au cœur.
Pour conclure : Aurait-on fait plus…aurait-on fait moins… qu’on se serait égaré.
On sort de cet opéra, léger et effervescent, mélomane reconnaissant d’avoir échappé à une leçon de morale opératique et qu’on ait laissé à notre sentiment musical la liberté de respirer et de cheminer en nous.
Gérard Abrial
Festival de Lacoste 19 juillet 2005.
L’Enlèvement au Sérail de W.A. Mozart.
Mise en scène Paul-Emile Fourny
© Easyclassic - 21/07/2005
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