Opéra de Marseille 11 septembre 2015
Programme
Gustav MAHLER
Des Knaben Wunderhorn
Mezzo-soprano Aurhelia VARAK
Basse Daniel KOTLINSKI
Franz LISZT
Concerto pour piano n°1
Plamena MANGOVA
Richard STRAUSS
Suite Le Chevalier à la Rose
Plamena Mangova ou le récit d’une frustration
S’il est bien un principe respecté par le soussigné, c’est celui de ne pas commenter une programmation musicale. Celle-ci, prise en interne, est une prérogative des directions artistiques, un savoir faire qui relève parfois de contraintes ou d’éléments « extra musicaux » généralement ignorés des journalistes. C’est bien ainsi…
Mais une fois n’étant pas coutume, nous devons dire notre frustration.
Celle-ci ne résulte pas certainement pas d’une programmation plutôt originale (rares Knaben Wunderhorn de Mahler ou Suite du Chevalier à la rose de R.Strauss) ni à la qualité d’un orchestre en éveil et en progrès constants dotés d’individualités remarquables, pas plus qu’à la baguette de Yaron Straub. Celui-ci, au pied levé, aura fait au mieux avec une formation désormais cohérente qui entretient une durable et complice idylle avec le maestro Foster, un cran au dessus.
Mais, voila…que l’orchestre nous pardonne, mais Plamena Mangova, pianiste bulgare hors du commun, aurait mérité un récital. Elle seule à son Steinway dans la veine des apparitions d’un Gregory Sokolov. Une comparaison en rien gratuite.
Réminiscences.
Août 2007, sur la petite scène de Forbin ( proche de l’ « officielle » de la Roque d’Anthéron, moins de 300 places réservée aux artistes en devenir) apparait une pianiste inconnue de nous. Sur son CV, mention est faite d’une deuxième place au concours Reine Elisabeth, ce qui n’est pas rien. Accueil « réservé » d’un public qui juge peut-être avec scepticisme un programme particulièrement ambitieux par sa diversité : Scarlatti, Beethoven, Wagner, Ravel, Chostakovitch, Ginastera. Aux premiers accords de son Beethoven la cause est entendue : Plamena Mangova, à la notoriété encore discrète, pour sa 1ere présence à la Roque, aurait mérité la grande scène. Retour à un compte-rendu de cette révélation :
« Un Scarlatti clair, raffiné, pétillant, d’une parfaite articulation. Conversation des deux mains légères et agiles, pleine d’esprit, d’un parfait bon goût. »
« Une Appassionata de Beethoven requérant une palette technique très élaborée.
« Un tempérament » » qui du fond de son clavier exprime contrastes, richesse des timbres, puissance mais aussi admirable sens poétique. »
(Romain Rolland au sujet de cette sonate :
(« Un torrent de feu dans un lit de granit. »)
« Emotion quand la voix de Wagner (transcription de la mort d’Isolde par Liszt) s’élève pour le « Libestod » page légendaire ici en état de grace. Piano-orchestre au complet, du grand art. .. »
« …premières mesures des Etudes de Chostakovitch (…) complicité de la jeune bulgare avec ces œuvres d’une approche si complexe. Notes étranges, inattendues, semblant parfois improvisées, dix pièces s’enchaînant pour élaborer un tout fascinant… » (… ) Sollicité dans ses extrêmes, (Etude n°6) le clavier ne fait entendre aucun aigu ferraillant, aucun grave caverneux (…) Rebond de chaque note, travail sur le son très sophistiqué, ici encore, l’art de Plamena Mangova est admirable ».
Et pour clore ce récital un Ginastera que nous découvrons avec le plus grand des plaisirs.
Carrière subito prestissimo
A la suite de ce récital, la carrière de Plamena Mangova va s’enflammer.
Cette élève du grand pédagogue Dimitri Bashkirov se voit dès lors reçue à Tokyo, New-York, Saint-Pétersbourg, Washington, au Concertgebouw d’Amsterdam, Philharmonic Halls de Vilnius et Riga, South Bank Center Londres, Gewandhaus Leipzig, Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, Théâtre des Champs Elysées et Auditorium du Louvre… ainsi que dans le cadre de festivals prestigieux : Progetto Martha Argerich Lugano, Verbier Academy, La Folle Journée Nantes and Tokyo, Festival Rostropovitch de Moscou et Bakou, Festival de Musique de Chambre de Jérusalem, Festival de Menton… Dirigée par Sir Colin Davis, Myung-whun Chung, Sir Andrew Davis, Emmanuel Krivine, Dmitri Jurowski, Maxim Vengerov, ou Emil Tabakov, Plamena Mangova se révèle une pianiste d’exception. La désigner comme une musicienne aussi fulgurante que Martha Argerich n’est en rien exagerée.
Quand Plamena Mangova entre en scène.
Autant le dire sans fard, Plamena Mangova est dotée, pour le moins, d’un physique plus qu’imposant, loin des plastiques électrisantes des jeunes « divas » du piano, les Khatia Buniatishvili, Yuva Yang ou Yulianna Avdeeva (la moins spectaculaire.) Dictature de l’apparence…
Profonds décolletés, robe «conceptuelle » (plus de chair visible que d’étoffe) ondulations « étudiées » elles savent valoriser leurs indéniables talents pianistiques en exhibant d’irréprochables silhouettes, nourrie d’une inévitable bonne dose de narcissisme.
Plamena Mangova dont le «charisme musical » ne doit rien à son apparence est totalement dévouée à son art et à son public. On devine chez elle une très sincère joie de jouer, un investissement spirituel et émotionnel sans limite, une force intérieure inébranlable au service de ces partitions qu’elle transcende sans jamais surjouer la moindre note.
Avant d’être accusé de statufier vivante la virtuose bulgare, nous dirons sobrement
que son interprétation du 1er concerto de Liszt au Silo ce vendredi 11 septembre fut un concentré des formidables talents décrits tout au long de ce commentaire qui, je le confesse, frise l’hagiographie.
« "Et les sourds entendront" Isaïe 29-18 .»
Gérard Abrial
© Easyclassic - 14/09/2015
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