Festival de la Roque d’Anthéron Récital de Stephen Kovacevich
Stephen Kovacevitch est une des figures les plus « sérieuses » du monde du piano, un penseur de la musique et un beethovénien de référence. Son nom est indéfectiblement lié à son intégrale des 32 sonates du grand sourd, un enregistrement sans cesse consulté et souvent vénéré par les pianistes de toutes générations.
Trois figures majeures de l’écriture musicale, Bach, Schumann, Beethoven nous sont offerts sous les doigts d’un homme dont on sait que pas une note jouée ne relève de la complaisance.
Assis très bas à son piano, entamant la Partita n°4 de Bach avec une vélocité et une clarté polyphonique qui saute aux oreilles…et Glenn Gould apparaît. Mais ici s’arrête la comparaison. Le Bach de Stephen Bishop ne s’attarde pas pour souligner tel ou tel détail ou pour émettre une intention personnelle. Outre une énergie contrôlée qui traverse cette Partita, l’interprète ne cherche à aucun moment à apposer ni imposer sa signature à cette œuvre. « Telle qu’elle » pourrait t’on dire.
Toute autre est la version des Scènes d’enfants de Schumann. Bien entendu, aucune faute de goût, aucun contresens musical ne vient déprécier ce magnifique cycle que le mélomane averti possède par des interprètes divers et variés.
Kovacevich, tout bas, nous suggère un Schumann confident, murmuré, aux couleurs d’automne. Pourtant, les intitulés de ces pièces indiquent formes, humeurs, climats très contrastés. Jusqu’à la « Rêverie » récitée sur un ton neutre, bien peu onirique.
Retour au « grand » Kovacevich avec une œuvre qui n’a jamais quitté ni son répertoire ni sa recherche esthétique.
Enregistrée pour la première fois en 1968, ses « Diabelli » reparaissent en ce début d’année et, une fois encore, cette version nous laisse pantois d’admiration. Il suffit de dire que depuis le cycle des Goldberg de Bach, aucun œuvre inspirée du genre des Variations n’a atteint un tel degré de complétion. Et d’exigence pianistique. Faire vivre ces 33 Variations, restituer leur identité, leur originalité sans les détacher du fil conducteur qui les relient, les associent, les opposent parfois entre elles est une performance qui ne se limite pas à une restitution de pure forme.
Ce qui n’était à l’origine qu’un jeu inventé par l’éditeur Diabelli en 1819 pour mettre en concurrence les grands maîtres du clavier de l’époque, prend sous la plume de Beethoven une forme monumentale. Tout le potentiel que pouvait offrir le clavier de son l’époque, dans cet opus, s’exprime de manière quasi exhaustive.
Kovacevich éblouit par le naturel avec lequel il parcourt ces 33 variations. Tout son métier se concentre dans cette œuvre qui ne laisse pas une seconde de répit pendant les 40 minutes de son interprétation. Dans le public, des records d’apnée sont battus.
Et pour clore le récital du grand maître, une œuvre de toute fin de vie de Beethoven, la délicieuse Bagatelle n°5 de l’opus 126, page apaisée que Kovacevich nous offre, toute confondante de simplicité.
La marque des grands maîtres : la simplicité…
Ps : écho people…
Au premier rang du public de ce 6 aout, à la fin du récital, une dame à l’épaisse chevelure grise, debout, applaudit frénétiquement le pianiste américain. Leurs regards un instant se croisent et un sourire complice et ému éclairent leurs visages. Martha Argerich et Stephen Kovacevitch furent un temps mariés et ce n’est rien de dire qu’ils ont conservé, au moins dans le domaine de la musique, une admiration commune…
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 08/08/2009
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