La Pianiste
A lire cet ouvrage, on en voudrait presque à nos jeunes pianistes européens, ceux qui font carrière sans qu’une seule larme de leurs yeux ne soit jamais tombée sur une touche de leur Steinway.
Leur parcours est souvent identique : parents musiciens ou mélomanes aisés, conservatoire, professeurs distingués, agents zélés et, selon leur degré de talent (et de travail tout de même) promesse d’un avenir fait de récitals et de festivals.
Ceux-la mêmes, ont-ils moins à dire que les artistes qui ont souffert, les Cziffra, les Haskil, les Estrella, les Du Pré, les Spilzman (le Pianiste adapté par Polanski) ? Certes non. Mais leur destin nous touche et nous les entendons autrement peut-être.
A Zhu Xiao-Mei rien n’a été donné.
Dans un récit bouleversant, d’une profonde dignité, écrit avec une saisissante humilité cette artiste enfin reconnue fait le récit de son existence.
Pendant ses sept ans de captivité sous la révolution culturelle Xiao-Mei fut affamée, battue, enfermée, « décérébrée », exploitée, dénoncée et pire, soumise à dénoncer sa propre famille. La logique maoïste ne fut pas simplement inhumaine, elle se termina dans un chaos d’une absurdité effarante. Mais Zhu Xiao-Mei survécut.
Puis vinrent les années d’errance entre Etats-Unis et Europe pendant lesquelles ses mains se posèrent plus souvent sur des serpillières que sur un clavier.
Comment Xiao-Mei parvint t’elle si tardivement à se remettre à son instrument et, in fine, devenir une pianiste de tout premier plan ? Cela peut paraître techniquement inconcevable.
Mais on sait que les camps d’enfermement n’ont jamais pu priver les détenus de rêver, de penser, ni comme pour Xiao-Mei, de jouer du piano en soi, de griffonner des partitions sur des bouts de papier.
Tout comme le Mr. B…du Joueur d’Echec de Stefan Zweig et cela pour ne pas perdre la raison ni désespérer. Nous dirons aujourd’hui que ces êtres sont des « résilients » dotés d’une détermination sans faille.
De cette tragédie, Xiao-Mei garde néanmoins un profond traumatisme, tout comme les otages et les personnes « conditionnées » ou « reprogrammées » par les dictatures.
Aux ovations qu’elle reçoit après un Mozart ou un Schubert, elle ne répond que par un sourire gêné et un bref salut à la foule, les deux mains jointes sur la poitrine, à l’orientale.
Elle offrira à son public, un bis, un Scarlatti peut-être dont elle est une magnifique interprète. Mais, à l’issue d’un récital Bach, elle ferme le couvercle de son piano car, selon elle, « tout est dit ».
Mais, aucune ovation ne viendra la convaincre qu’elle a bien servi les « Goldberg » ou le « Clavier ».
Doute, questionnement, culpabilité…La barbarie humaine vit encore en elle.
Seules les heures passées à son piano, l’œuvre de Bach ou la pensée de Lao Tseu lui rendent la joie de vivre.
On referme cet ouvrage ému, troublé, décontenancé. Alors, pour se remettre, il faudra écouter un enregistrement de Xiao-Mei,
Sereine, modeste et rayonnante, elle oublie ses souffrances pour servir une musique qui sous ses doigts se transforme en une manifestation spirituelle, une prière universelle, un acte de foi.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 09/08/2009
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