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Frank Braley, tendance Roque

Un des grands mérites du concept « La Roque d’Anthéron », et ce n’est pas le moindre, est d’avoir fait sauter quelques verrous sur les portes jugèes austères et intimidantes du monde de la musique classique. Ce monde, depuis l’avènement du concert public au 19 ème siècle, s’est souvent accommodé de sa dimension microcosmique. Et le non mélomane, lui, se satisfait de la représentation traditionnelle du concert, vision en blanc et noir où se jouent des musiques distinguées devant un public compassé. On sait bien que les rituels d’initiés sont les cordons sanitaires les plus efficaces. Un exemple : l’inconsidéré qui, avec candeur, aura applaudi entre les mouvements d’une sonate, saura ce qu’être rabroué veut dire. Comment ne pas évoquer aussi l’image traditionnelle de l’officiant de grand-messe, qui derrière son piano, tricote Couperin ou dactylographie Chopin comme dans les salons proustiens et qui entretient ce qui à proprement parler, un « malentendu » entre deux mondes. Depuis 25 ans, à La Roque, un vent nouveau a chassé bien des maniérismes et a incité un nouveau public à reconsidérer les chromos d’antan. Les idées de René Martin, concepteur et co-créateur de ce festival, ont rapproché points de vue et points d’écoute et une nouvelle relation s’est instaurée entre les artistes et le public. La « Folle journée de Nantes » en est l’exemple le plus convaincant. Depuis des années, nous ne faisons pas mystère de notre admiration pour le jeune pianiste Frank Braley. Son récital du 6 août fut un cas d’école. Comment enthousiasmer le public de 18 heures (en majorité des familles) en jouant Stravinsky et Hindemith, auteurs pas vraiment des plus engageants ? Pianiste accompli, Frank Braley sait donner corps au message musical par une vertu qui semble évidente mais qui suppose une bonne dose d’accomplissement personnel : la simplicité. Et cela, même pour les mélomanes de passage, s’entend. Par ailleurs, Frank Braley est (à notre connaissance) le seul pianiste qui s’adresse au public pour lui donner quelques clés d’écoute ou lui confier, exemples sonores à l’appui parfois, diverses options esthétiques. Langage clair, naturel, présence chaleureuse…le public est conquis. Et l’originalité de ce programme construit autour de Gershwin, aura mis en évidence les passerelles possibles entre jazz et musiques dites « savantes ». Quelques Préludes de Debussy vinrent affirmer l’euphonie commune à ces mondes. Sans pour autant bouleverser les codes traditionnels du concert, sans emprunter le look d’un Nigel Kennedy du piano, Frank Braley, l’homme comme le musicien, instaure une relation vivante entre la musique et le public et celui-ci lui offre en retour l’écoute la plus bienveillante. Le 18 août, l’Appassionata qu’il donna à Silvacane dans le cadre de l’intégrale des sonates de Beethoven fut de l’avis général un pur moment de bonheur. Frank Braley (qui par ailleurs voue un culte à Freddy Mercury et écoute Baschung), est l’homme d’un monde sonore sans a priori qui ne craint pas de transgresser les canons du genre, d’autant que son talent, sa probité musicale le mettent au-dessus de la critique des grincheux. Au déclin du jour, ce 6 août, le silence qui suivit les dernières notes de sa « Rhapsodie in blue » fut un des instants forts de l’édition 2005. Des instants de grâce quelque part au-delà de la musique…
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© Easyclassic - 30/08/2005