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Robert Schumann par Jean-Philippe Collard
Eloge de la tendresse

Ce que la maison Hermès est à la maroquinerie, le label Dolce Volta l’est à la musique classique.
Par le soin extrême accordé à leur présentation, les albums de cet éditeur sont des cadeaux idéals pour tout mélomane amateur de grand piano romantique ou amené à le devenir. .
La vue désormais satisfaite, que nous dit notre ouïe ? Que la prise de son, d’une parfaite clarté, au relief précis et à la définition naturelle nous aura ravi. Nul doute que notre musicien aura donné son propre « la » afin que la restitution sonore soit au diapason de son identité musicale, celle d’un jeu expressif, animé, d’une élégante simplicité. .
Robert Schumann est donc ici interprété par Jean-Philippe Collard, maestro en Europe, mais aussi ambassadeur des charmes de nos musiques françaises en Asie et en Amérique. Il est vraisemblable que du haut de leurs nuages, Fauré, Ravel ou Saint-Saëns lui sont reconnaissants d’assurer leur immortalité. .
La volonté de Jean-Philippe Collard d’enregistrer la Fantaisie op.17 et les Kreisleriana de Schumann, partitions majeures du romantisme allemand du 19 éme siècle est, à l’examen de sa vaste discographie, tardive. Notre musicien avoue avoir laissé longuement ces œuvres décanter en lui jusqu’au moment où il trouva sens et intime inspiration pour passer en studio. .
Gravés à profusion, ces œuvres exigent une absolue maîtrise polyphonique, un sens narratif spontané et une parfaite connaissance de l’univers littéraire et poétique de Schumann. .
Vaste débat autour de cette interrogation : la connaissance de la psychologie (ou plus simplement du fond de caractère) des compositeurs est-elle une exigence pour les interprètes ? .
Si certains pianistes, et non des moindres, jugent cette voie superflue, il semble ici tout à fait déraisonnable de ne pas appréhender l’homme Schumann, depuis ses années d’innocence jusqu’à celles de sa démence. Aucun compositeur n’abandonna autant son âme à son piano, surtout après une carrière d’instrumentiste avortée*.
Schumann est un sujet particulièrement énigmatique, un être à mille facettes et, de ce fait légitime des esthétiques des plus variées. Tant et tant d' interprètes ont eu maille à partir avec les turbulences de son inspiration qui, de la manière la plus fantasque, se manifestent sans crier gare .
Jean-Philippe Collard se tient à distance des hantises et des démons exacerbés d’un Schumann, consumé par sa passion pour Clara et qui, dès avant la trentaine, présente des signes de ce qui se nomme de nos jours" trouble bipolaire". .
« Si on ne garde pas les pieds sur terre, on risque d’être entrainé sur des chemins sans retour » nous dit notre musicien. .
Là où Pollini bride son imaginaire, retient ses effusions, là où Horowitz et Sofronitsky, au lance-flamme jouent l’incandescence, Jean-Philippe Collard souligne les effets contraction-dilatation, distingue les contrastes, offre aux passages mélancoliques le temps de se déployer. Les alternances entre les n° impairs « hallucinés » (sauf 8) et ceux pairs, dépressifs,distendus des Kreisleriana sont rendus par Jean-Philippe Collard sans conception envahissante, ni quelconque prosélytisme.
Quant au grand mouvement lent de la Fantaisie, il atteint l’intensité émotionnelle des op.109 et 110 de Beethoven.
« Fièvre, emportement, mais surtout une immense tendresse » avoue t'il.

A cette version qui montre et ne démontre pas, osons prêter à Jean-Philippe Collard, ce propos :
« Je ne joue pas pour qu’on se plie à mon jeu, je joue pour que chacun s’avère à soi. »

Gérard Abrial
www.easyclassic.fr
concerts@mailomanes.fr

*A propos de la perte de l’usage de l’annulaire de la main droite de Schumann les versions médicales sont aussi nombreuses que divergentes. Les plus récentes en tiennent pour une dystonie focale (défaut de la commande cérébrale affectant motricité et fluidité. Incrimination d’une personnalité anxieuse et perfectionniste) Schumann aurait tenté de remobiliser ce doigt par un dispositif de son invention, celui-ci aggravant cette pathologie jusqu’à la paralysie.

*Contre-sens à éviter, la « Fantasie » allemande (Phantasien) se traduit en français par « Hallucinations »

© Easyclassic - 05/01/2017