Turandot à Marseille Compte-rendu
On chuchote son nom, on détaille ses crimes, la foule à sa seule évocation frémit, on la pressent mais on ne la voit pas. Va-t-elle nous apparaître ?
Turandot, héroïne éponyme de l’œuvre de Puccini, ne s’exprimera qu’au second tableau de l’acte deux, soit quasiment au dernier tiers de l’œuvre.
Sa présence muette, une silhouette menaçante, concentre sur elle toute cette intrigue qui se joue en trois actes dans une cité impériale condamnée à la pénombre.
Ici, une part du grand talent de dramaturge de Puccini tient plus à la suggestion qu’à la révélation.
En ce sens, la mise en scène de Jacques Roubaud pour cette Turandot phocéenne est une réussite. Son mérite est l’excellente organisation de la scénographie visuelle entre une foule compacte et bruyante, en permanence sur la périphérie du plateau et des protagonistes condamnés à la solitude en son centre.
Cette maîtrise de l’art de donner à voir contribue largement à la crédibilité psychologique des situations et des personnages ce qui, dans cette œuvre complexe n’est pas une mince affaire.
De surcroît, la solidité et la fluidité de cette mise en scène, soulignée par de beaux décors sans kitsch et des éclairages suggestifs (hormis le plateau rotatif inutile, les effets de rouge un peu hémoglobinesques…) rendent la progression dramatique captivante de bout en bout, enfin, jusqu’au suicide de Liu.
On sait que la conclusion de Turandot n’est pas, loin s’en faut, du niveau de la main de Puccini, disparu avant de l’avoir écrit. Carence structurelle du texte comme de l’orchestration contre laquelle il n’y pas de remède….
Alors, le chant… ? Les chœurs ? Cohérents, vifs et musicalement bien réglés, ils ont tenus le cap. Les solistes ? Jeong Won Lee est un Calaf vaillant, solide, sans effets faciles mais un peu statique sur scène comme dans sa ligne de chant.
Liu, personnage sculpté par Puccini, pour émouvoir, émeut. Nicoleta Ardelean (*), corps, âme et voix, est toute de pureté, de sincérité. Emission transparente qui atteste d’un contrôle total sur toute la tessiture, elle mérite les ovations d’un public enthousiaste à son endroit. Plus réservées celles offertes à Turandot, Turandot expressive, entièrement dans l’incarnation de la froide princesse, mais dotée d’aigus parfois acides et d’un vibrato gênant. Mais tous trois sont ce qu’ils chantent.
Malheureusement, les louanges cessent parce que de musique il nous faut parler.
Où est la belle et profonde pâte musicale de Puccini, où sont les houles sonores qui nous chavirent, où est le luxe acoustique, le mordant orchestral qui sied si bien au texte?
De tout cela des ébauches parfois mais un résultat un peu prosaïque dans un univers scénique restitué avec beaucoup de profondeur.
Bien rares sont les productions qui satisfont tous nos sens.
Ici moins l’oreille mais plus la vue, il n’en demeure pas moins que cette Turandot clôt une saison marseillaise du niveau des meilleures scènes européennes.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 16/06/2006
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