Opéra de Marseille Janvier 2013 L'Italienne à Alger-G. Rossini
Au temps des beys accommodants.
Le public assemblé pour les représentations de cette Italienne à Alger aura apprécié avant même les trois coups que l’opéra phocéen programme en ouverture de cette nouvelle année une œuvre si euphorisante (loin de l’Elektra à venir.. !) Par les temps présents, si maussades, on appréciera.
Tout comme en littérature ou au cinéma, faire sourire et rire, n’est pas chose aisée. Rien de plus désolant que l’effet qui tombe à plat. Le drame vient plus naturellement à l’esprit du créateur tout comme la larme sur la joue de l’auditeur.
Cette production n’aura pas lésiné sur tous les éléments utiles à ce « dramma giocoso ».
Plateau vocal, décors, costumes, mise en scène…Champagne… !
Côté décor, la très ingénieuse et imposante porte à tambour qui, en pivotant, présente des compartiments telles des mini scènes, occupe l’essentiel de l’espace. Celui-ci est entouré sur ses trois côtés par un ensemble à un étage composé de coursives ouvertes munies de garde-corps et claustras en moucharabieh, le tout orné d’ogives orientales, autres volutes et arabesques. Ce dispositif de grand luxe, tout en profondeur, ne flatte pas que notre vue. Il offre surtout aux artistes la plus grande mobilité et liberté de mouvements. Celle-ci favorise les cache-cache, les écoutes clandestines, les apparitions et les disparitions, les escaliers dévalés et ceux gravis en tous sens. L’ « intelligence » des décors peut contribuer à la compréhension des personnages et à celle de leurs états. Les amateurs du « tout vidéo » apprécieront.
Le second degré est une vertu rossinienne et cette Italienne à Alger en regorge.
La mise en scène de Nicola Berloffa relate la parfaite connaissance de ce dernier pour une œuvre qui ne se mesure certainement pas à une simple pochade.
Réglée au cordeau, soignée à la perfection, sa réalisation nous révèle l’incroyable maturité d’un Rossini de 21 ans qui sait exploiter les « turqueries » à la mode et celles de ses aînés, Rameau, Gluck et bien entendu le Mozart des Zaïde et de l’Enlèvement au Sérail.
C’est du côté des voix que notre euphorie perd un degré.
Le Mustafa d’Alex Esposito est sans reproche. Ne prétendant pas à la stature d’un Samuel Ramey, (le premier bey de notre panthéon intime) celui-ci s’impose néanmoins par une grande vivacité vocale, un abattage sans faille, un art de comédien capable de nous séduire par un Mustafa qui évite l’écueil d’un bey uniformément béta.
Le Lindoro de Fréderic Antoun fait au mieux avec un organe qui se n’aventure guère de part et d’autre d’un medium solide mais sans beaucoup de couleurs.
Le rôle d’Isabella est long, éprouvant, énergétivore. Mais Marie-Ange Todorovitch qu’on a connu et acclamé maintes fois, si à l’aise de Mozart à Saariaho, semble ici peu inspirée et sans pointer le moindre reproche vocal, peu en verve, sans effervescence. Notre mezzo aurait’ elle été contrariée par un défi douteux, celui de rendre crédible son couple avec un Lindoro très… mais vraiment très jeune homme ? Que l’on sache, Rossini ne militait pas pour la cause des dames « cougar ».
Marc Barral, dans un Taddeo savoureux, barytonne excellemment, stable et rayonnant.
Et comme toujours ici, les chœurs sont parfaits, vivants, cohérents et bien en voix.
Le maestro Carella insuffle à l’Orchestre de l’Opéra de Marseille qui y répond avec une belle unanimité sa dilection pour une œuvre dont il connaît tous les reliefs et toutes les couleurs.
In fine, jolie soirée, belle scène…et tous les sourires qui vont avec.
Gérard Abrial
www.easyclassic.com
Ps : A Alger, du temps de Rossini, les beys même pris à rebrousse-poil étaient moins susceptibles que ceux de nos jours…
© Easyclassic - 05/01/2013
|