Chorégies d'Orange G.Verdi La Traviata
Chorégies d’Orange
G. Verdi La Traviata
15 juillet 2009
Philarmonique de Radio France
Direction Myung Whun-Chung
« La Traviata ? Oui, mais laquelle ? »
Le chiffre donne le tournis. 15 juillet 21h45 : 1,2 million de téléspectateurs assistent en direct à la Traviata de Verdi. Simple calcul : il aurait fallu plus de 140 représentations à Orange (capacité 8500 places) pour accueillir tout ce monde. Mais au-delà de cette éventualité tout à fait invraisemblable, deux questions se posent : les accros de l’écran se seraient-ils déplacés s’ils l’avaient pu et comment apprécient-ils leur statut de téléspectateurs ?
Après une mini-enquête réalisée dans les jours suivant la représentation du 15 juillet, à la question n°1, une bonne moitié répond affirmativement. Oui, les téléspectateurs auraient préféré être dans la réalité du théâtre antique d’Orange. Mais les autres ont apprécié cette Traviata depuis leur écran (jadis « petit », désormais « géant »). Bien installés chez eux, sans bourse déliée, ils ne manifestent aucune frustration par rapport à nous, privilégiés, qui étions face au légendaire mur de scène des Chorégies, Patricia Ciofi presque à portée de main et le maestro Myung-Whun Chung dirigeant sous nos yeux. Un privilège, il faut le dire, dont est privé une part importante des personnes présentes, perchée en haut des gradins, loin des détails visuels et auditifs du grand spectacle verdien.
Mais la véritable interrogation est la suivante : eux et nous, avons nous vu le même spectacle ? A nous la magique ambiance du lieu, la proximité des 65 mètres de longueur de la scène, l’émotion à portée de cœur, la sensation de « vivre l’événement ». A eux, les vertus du « home cinéma », les gros plans sur le visage de Violetta et Alfredo, l’objectif de la caméra qui isole et amplifie le solo d’une clarinette, qui « capte » un élément significatif d’un décor et parfois « vise » l’apparition d’un personnage à un moment clé du récit pour souligner son importance. Nul doute que l’œil de la caméra « subjectivise et scénarise » le spectacle, offre une image autre différente de la « réalité ». Si bien que les téléspectateurs interrogés avouent un plaisir sans réserve (bientôt un label « Vu à la télé ? ») quand le public d’Orange lui, aura émis quelques bémols. Mais au chapitre des temps forts de cette version…
Un duo est né…
Cette Traviata 2009 aura consacré un couple modèle, modèle de grande classe vocale, de présence scénique, d’intelligente incarnation des rôles. Patricia Ciofi, la bouleversante Lucia de Lammermoor ici même en 2006, se glisse dans la peau d’une Violetta toute en nuances, parfois lointaine et diaphane, d’un sobre désenchantement. Voix limitée dans sa puissance mais d’une projection parfaite, son legato est un bonheur de chaque instant. Il aura fallu quelques secondes à Vittorio Grigolo (*) pour être adopté par le public des Chorégies. A 32 ans, encore peu connu du grand public, voici un ténor né sous les meilleures étoiles. Qu’il chante (diction, timbre, musicalité, profondeur vocale, émission...) ou qu’il se meut (silhouette, élégance du geste…) son Alfredo se hisse au niveau des grandes références actuelles. On avouera en revanche notre déception après la grande scène entre Violetta et Germont père. Très court de voix, Marzio Giossi n’apporte pas à cette scène clé du récit, ni ambigüité ni densité. Venu pour anéantir la relation entre Violetta et son fils, mission accomplie, il disparaît sans éprouver ni trouble ni empathie pour Violetta. C’est ici que la mise en scène de Fréderic Bélier-Garcia montre ses limites. Convenue, prudente, elle ne caractérise pas les temps forts d’un opéra dont la profondeur autorise des points de vue originaux et passionnants (Willy Decker Salzbourg 2005). Mais, quand le souvenir de la Traviata de Peter Mussbach à Aix en 2003 nous revient en mémoire, cette version Bélier-Garcia nous inspire le plus grand respect...
Myung-Whun Chung, à la tête du Philarmonique de Radio France a épousé la version « intimiste » de cette œuvre. Sonorités fluides et transparentes, clarté et élégance du discours, ce spectacle doit beaucoup à un orchestre admirablement dirigé.
Grandioses Chorégies, œuvre sublime, voix admirables, 8500 personnes qui retiennent leur souffle au même moment, …une soirée à Orange demeure toujours un événement inoubliable.
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 17/07/2009
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