Festival de La Roque d’Anthéron
Le grand évêque du clavier.
A ses débuts, il se nommait Bishop, qui en anglais signifie évêque.
Puis il joua sous le double nom de Bishop-Kovacevitch et désormais, se nomme Stephen Kovacevitch. Une évolution patronymique dans le sens d’une réappropriation d’une identité un peu erratique. Mais, à l’entendre jouer aujourd’hui, c’est l’évêque qui nous apparaît. Grand dignitaire d’un ordre religieux en noir et blanc, Stephen Kovacevitch a laissé derrière lui tout ego, démonstration, ornement, pour filer la musique dans toute son épure et sa simplicité. A preuve, son Mozart de début de récital. Cette sonate (K 282) semble émaner des doigts d’un enfant parfois primesautier, parfois mélancolique, un enfant qui se raconterait une histoire à lui-même. Cependant, Stephen Bishop n’est jamais prévisible dans cette œuvre de jeunesse qu’il anime et nuance, fidèle au style galant de Josef Haydn.
Plus déroutant est le Beethoven n°5 de l’opus 10 n°1. S’attend t’on aux rugissements et aux imprécations beethoveniens qu’on sera déçu. Mozart est encore là, certes, mais avec plus de matière sonore, plus d’épisodes contrastés. Mais on ne sort pas de cette Vienne que le jeune Beethoven tient à séduire. La surdité est encore loin et ses conséquences aussi. La sonate n° 1 de Berg aura séduit le public très concentré de La Roque. Œuvre intimidante sur le papier, sous les doigts virtuoses de Stephen Kovacevitch, elle nous révèle, bien que d’avant-garde, un romantisme qui fait écho à ses grands prédécesseurs. Sous cette forme sonate classique, d’un bel ordonnancement, Berg devient pour les mélomanes rétifs à la seconde école de Vienne, un maître tout à fait fréquentable dont Glenn Gould fut le révélateur.
La sonate D 959 de Schubert aura été le temps fort de ce récital. Œuvre sublime s’il en est, on éprouve à chaque écoute son pouvoir hypnotique. Ecrite par un homme qui se sent perdu, elle flotte entre terre et ciel, alternant épisodes de profonde amertume (Andantino) et expression d’une soudaine et inattendue allégresse (Scherzo). Ici aussi, Kovacevitch prend le parti des tonalités monochromes, sonores comme émotionnelles, un sorte d’attitude de retrait, parfois de neutralité. Conception irréprochable et d’une pertinence bien entendu irrécusables, son jeu nous éloigne des interprétations engagées qui sont dans nos mémoires, en complète opposition avec celle d’un récent Sokolov par exemple. Quelques duretés de la main droite, un traitement très analytique du texte, accentueront l’impression d’aridité d’une vision qui se refuse à un romantisme dont il ne laisse percer que des fragiles effluves.
La musique de Stephen Kovacevitch est la plus décantée qui soit. Il se tient dans le sillage de ces grands artistes qui nous semblent parfois austères et elliptiques quand ils ne sont finalement et avant tout soucieux que de s’effacer derrière leur art.
© Easyclassic - 20/08/2006
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