Ivry Gitlis and friends
Dans l’écho d’un violon qui à 82 se fait automnal, on entend encore, s’il ne fallait retenir qu’une œuvre, les splendeurs de son concerto de Bartok, version 1954. On se souvient d’une gravure incomparable de profondeur de pensée musicale, d’une sonorité souveraine. On se souvient des grands aînés d’Ivry Gitlis, les Ménuhin, Stern, Oïstrakh, Ferras… tous fervents admirateurs de cet archet éblouissant.
Mais tout ceci est du passé. Et ce qui compte pour l’infatigable Ivry, ce n’est plus sa personne, mais la musique et son avenir, c'est-à-dire l’essor des jeunes talents.
Les Polina Letchenko, Vaham Mardirossian, Lyda Chen, Arabella Steinbacher et leurs amis qu’il met en scène pendant ce festival de Cassis. Mais ce qui pourrait se limiter à un passage de relais est en fait, un événement rare. Quand la « norme » du spectacle de musique classique se fonde sur l’édition d’un programme, des horaires stricts, des artistes en grande tenue, un cérémonial établi, une « ambiance » généralement compassée, ici tout est surprise.
Ivry Gitlis, micro en main, présente ses protégés, évoque un souvenir, plaisante, lance un coup de griffe et, mine confuse, se repend. Et là, dans un tourbillon de pupitres, d’inconnus qui entrent et sortent de scène, de bouffées de voix aux accents russes ou asiatiques qui émanent des coulisses, un trio se constitue, des sourires s’échangent et le silence se fait. Ce qui pourrait passer pour une scène des Marx Brothers se transforme à la première phrase d’un archet, au premier arpège d’un piano en un récital d’un niveau musical exceptionnel.
Les « babys Gitlis » ont t’ils du talent ? « Non » répond leur aimable inspirateur. « Ce sont des feux follets, ils ont une belle âme ». Et à la fin de ce ballet de trio, quatuor, quintette, farandole de nouveaux visages, archets plus radieux les uns que les autres, claviers d’une rare beauté, ce qui passait pour des improvisations sont en fait des moments de musique d’une professionnalité absolue. Mais au-delà de l’émotion musicale éprouvée, flotte dans l’air et jusqu’au public, ces effluves d’amour entre le patriarche et ses enfants. Confiance, tendresse, complicité, sourires, accolades…Et au-delà des échanges polyglottes, le langage le plus universel qui soit : la musique.
Interrogé, Ivry Gitlis révèle sans détours son refus de laisser enfermer la musique dans les mots, les réfutant tous, les tournant en dérision, proposant les synonymes les plus facétieux, les aphorismes les plus exotiques. On ne sait, au sortir d’une conversation étourdissante, qui du violoniste ou du talmudiste est le plus convaincant. « Mes protégés me doivent rien, je leur doit tout… » Et de partir sur des souvenirs d’enfance, un fredon d’une sonate de Mozart, un silence ému, un éclat de rire. Et le bel octogénaire de convoquer ses disciples en anglais, allemand, russe, pour leur raconter une histoire. Assis en cercle autour de lui, les regards se font attendris, des doigts se croisent, des têtes se posent sur des épaules… Un concert sans instruments se recompose autour d’un visage parmi les plus attachants du monde musical.
Et dans quelques heures, cette même ferveur se donnera en musique…musique la plus libre et la plus naturelle qui soit.
Gérard Abrial
Le 24 août 21h
Renseignements 04 42 01 08 52
© Easyclassic - 23/08/2004
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