Cosi ou les délices de l’ambiguïté
C’est un opéra mais un opéra mono-décor, sans machineries étonnantes issues des coulisses ou des cintres, sans fumigènes ni vidéos, sans chœur sur scène et, tout au long de l’œuvre, sans aucun effet vestimentaire, autres que quelques étoffes de-ci, de-là. Alors… si ce n’est pas un opéra « en vrai » c’est donc, par défaut, une simple version de concert. Et bien…non.
Voici donc une production mozartienne de type hybride, que l’amateur désigne par son raccourci « Cosi » sans nommer son auteur, si évident, qu’il est inutile de le mentionner.
Cette création, puisque ainsi conçue sous l’angle de la soustraction,requiert d'être bon public. Sans a priori ni dépit, soyons le et reportons toute notre attention sur l’essence même de l’opéra : la qualité de l’interprétation scénique et musicale, les voix et la mise en scène.
C’est peu dire qu’aux premières mesures, celle-ci ne nous aura pas vraiment subjuguée.
Quelle étrange idée de livrer la délicieuse, raffinée, éthérée, ouverture de notre « Cosi » à cette scène de sauna, où quelques messieurs, quasi-nus, se font pétrir les chairs ? Voici un tableau assez prosaïque qui, et c’est tant mieux, sera la seule fausse note de la très honorable production de Pierre Constant, le bien-nommé. Celle-ci, sage et linéaire, ne cherche pas à se pousser du col, à imposer ces redoutables « relectures » que nous inflige certains de ses confrères, ni à ramer à contre-courant du flux musical.
Entre neutralité du propos et respect de la logique du livret de Da Ponte, la pensée de Pierre Constant est simple, claire, efficace.
Confusion des sentiments
Bien que moins popularisée que les deux autres livrets de la trilogie Da Ponte (Don Giovanni et Les Noces de Figaro) Cosi est l’œuvre la plus complexe sur le plan psychologique.
Chez Mozart, l’amour est impérieux, il se déclare sans détour et sans tarder, les aveux du désir sensuel se manifestant sans filtre.
Entre pantalonnades au premier degré et manifestations des désarrois les plus troublants, tout ici est ambigüité. Un terrain miné.
Là où un Handel échoue à faire évoluer les comportements de ses personnages, Mozart et Da Ponte réussissent à convertir les états d’âme de ceux-ci en ressorts psychologiques.
De ce point de vue, notre empathie pour les Fiordiligi, Dorabella, Ferrando, Guglielmo, Despina et Don Alfonso progresse tout au long de l’œuvre.
L’écueil des décors « a minima », sans dispositif scénique sophistiqué permettant quiproquos, travestissements, substitution, équivoques, contraint le chant à se faire particulièrement expressif. Sans établir un palmarès individuel du plateau vocal, le casting lyrique est ici de premier ordre, aucun interprète ne déméritant. Qualité de l’articulation, lignes de chant sans heurts, projection sans reproche, déclamation sans saturation…arias ou ensembles, le sentiment amoureux (entre sincérité ou ambivalence, puisque tel est l’essentiel du propos) est rendu par de beaux talents. Notre « coup de cœur » va néanmoins à Guanqun Yu-Fiordiligi,( image) dont le « Come Scoglio » de l’acte 1 nous aura enchanté.
Une battue sans ambiguïté
L’effet « Lawrence Foster », directeur musical de l’Orchestre de Marseille, se confirme.
De la fosse et des entrelacs complexes de sa baguette, émane le plaisir de jouer de tous les pupitres, au mieux de l’expressivité de chaque interprète. Le tempo rigoureusement maitrisé, la transparence des archets, les attaques à bon escient des cuivres et des vents, le souci des détails qui ne vient pas ralentir le cours mélodique… tout cela et bien au-delà, se résume lors de cette production. Le chef roumain aura effacé des années de mésestime envers cette formation, désormais très favorablement reconnue et appréciée.
A la fin heureuse (rare à l’opéra) de son Cosi, du haut de ses nuages, Mozart approuve et applaudit.
Et nous tout autant.
Gérard Abrial
*Couronne de lauriers pour les lumières de Jacques Rouveyrollis
© Easyclassic - 23/04/2016
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