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La Roque d’Anthéron 2008, le lauréat...

L’astre 2008

De Toscanini à Bernstein, de La Malibran à Lang Lang, à l’opéra comme au concert, ils sont nombreux celles et ceux qui,appelés au pied levé, ont suscité l'enthousiasme.
En l’espace d’une soirée, ils ont connu, si ce n’est une gloire promise, mais l’ovation du public, voire l’intérêt des agents et de la presse. Arrivant sur scène dans un anonymat relatif, ces jeunes artistes jouent le tout pour le tout.
Idée. Puisque tant de jeunes talents se sont révélés lors de défaillances d’artistes bien plus célèbres qu’eux, pourquoi ne pas créer un « Festival des Remplaçants » ? (Sans aller jusqu’aux « Remplaçants de remplaçants…) ? Succès assuré.
Et c’est ainsi qu’à 20 ans, Andrei Korobeinikof fit ses premiers pas à La Roque le 28 juillet 2006 à la place de « l’irremplaçable » Ivo Pogorelich. Et pourtant… Les échos de ce récital furent plus qu’élogieux. Enthousiastes.
Ce 20 août, le jeune Korobeinikof apparaît donc. Au vu de son programme, on pouvait se dire « Voilà un artiste qui ne doute de rien… » En première partie, exit le Rachmaninov promis au profit de Beethoven (irritation du public…) Mais, Scriabine, compositeur qui fait froncer les sourcils des mélomanes occasionnels sera maintenu.
Du « grand sourd », les Bagatelles opus 33 ne sont pas très connues et la sonate n°4 est bien moins courtisée que la « Clair de Lune » ou l’ « Appassionata ». Et puis, à 22 ans, Beethoven, c’est « présomptueux grave » selon le mot d’un auditeur au look techno.
Que pèsent ces réticences aux premières mesures d’Andrei Korobeinikof ? Plus rien, envolées, dissoutes. Le jeune moscovite aurait, chemin faisant, obliqué vers les Variations de Webern ou le piano seul de Henze (vos invités s’incrustent ? Une solution…) que nous n’aurions pas certainement pas cédé notre place.
Andrei Korobeinikof possède toutes les vertus pour faire une immense carrière. Les moyens techniques sont superlatifs. La sonorité est ample, opulente, polychrome. La pensée musicale est effervescente, originale, audacieuse (en bis, le prélude en sol mineur de Rachmaninov.. !) Dans sa catégorie ( Kissin, Luganski, Volodos, Berezowski, Pletnev pour ne citer que les russes) il n’est pas le seul. Mais, ce qui nous aura sidéré, c’est la spontanéité du jeu d’Andrei (Dès la Bagatelle n°2 op 33, nous sommes devenus intimes...) La sensation éprouvée ? Cet artiste joue avec le piano, jamais contre. Toute cette musique coule de source sous ses doigts comme si elle était simultanément composée ET jouée. L’expressivité de son jeu nous va droit au cœur. Cela donne une musicalité merveilleusement naturelle, jamais contrainte ni appliquée. Là où d’autres prodiges doivent fournir des efforts, Andreï, concentré, démontre une formidable décontraction quand il aborde le « cas Scriabine ».
Trois poèmes et deux sonates après, celui dont Rimski-Korsakov disait « Il se pourrait bien qu’il soit fou… » nous apparaît dans toute sa complexité et sa richesse. Si au fil des pages, on saisit des effluves de Chopin, Debussy, Liszt, Wagner, le langage de Scriabine ratisse large entre propos mystico-ésoterique hallucinés et romantisme hollywoodien. Korobeinikof sait donner à chacune de ces pages visionnaires une lisibilité parfaite. S’il n’avait été pianiste et avocat, notre prodige aurait fait un grand architecte tant les fondations de ses œuvres sont solides. Avocat ? Mais oui.
Etudiant le droit dès sa 12 ème année, inscrit depuis ses 17 ans au barreau de Moscou, de surcroît il publie de très sérieux articles sur le droit de la propriété intellectuelle traduits en plusieurs langues. Ce qui ne l’aura pas empêché de remporter 21 concours internationaux dont le Prix Scriabine en 2004. Qui dit Scriabine fait penser à Neuhaus, Sofronitsky, Horowitz, Richter, Sokolov…Comme camarades de jeu, on a vu pire…

Ce jeune homme est heureux. Tout sur visage en témoigne. Une allure gauche, un sourire désarmant sur un visage paisible, une simplicité évidente qui aura fini de séduire un public émerveillé.
Et pour répondre aux vivats, Andreï, sans se faire prier, donnera un Schubert (Klavierstück en mi bémol mineur D. 946 n°1) déconcertant de simplicité.
Emotion profonde, silencieuse, respiration en apnée…
Un des miracles du Festival de la Roque d’Anthéron 2008.

Irremplaçable.

Gérard Abrial
www.easyclassic.com

© Easyclassic - 22/08/2008