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Festival de la Roque d’Anthéron
12 Août Récital de Grigory Sokolov

Depuis des années, les sokolophiles avaient fini par s’habituer au temple de Lourmarin, ses bancs de commissariat albanais et ses températures à peine inférieures à celles du Hoggar en saison chaude. Le « maître », hostile aux cigales du Parc de Florans, se faisait entendre par 400 privilégiés mais un bon millier se voyait recalé.
C’est donc au Grand Théâtre de Provence à Aix que le sermon selon Grigory Sokolov fut donné.
Rituel immuable : dans un silence de sépulcre, tel un automate, le maitre entre sur scène à pas vifs, salue sans un sourire, le regard perdu au loin. Et, dans la seconde, viennent à nous les premières mesures de la sonate n°2 de Beethoven.

Pour le nouvel adepte, la rencontre avec le piano de Grigory Sokolov induit deux sensations distinctes et inédites : un « choc acoustique » d’une part et la révélation d’une interprétation dont on perçoit immédiatement l’originalité, d’autre part.
L’énergie sonore du pianiste russe produit, dès que l’ensemble du clavier a été sollicité, une sorte d’hypnose de l’écoute. Projection sonore magique, clarté des lignes surnaturelle, phrasés d’une maîtrise absolue, vitesse fulgurante d’un pianissimo le plus doux à un fortissimo torrentiel…le contrôle et la maîtrise des ressources les plus subtiles de l’instrument se traduisent en sensations « physiques ».
Dés lors, ce n’est plus de séduction qu’il s’agit mais de sidération. Pour preuve, un auditoire qui bat des records d’apnée et qui en oublie tout le répertoire habituel des manifestations laryngées.
Mais, l’interprète, que nous dit’ il ? Chaque note pesée, chaque note pensée et pourtant…pourtant, le discours inexorablement progresse, sans didactisme, son rhétorique, sans démonstration mais avec une hauteur de vue incomparable.
Succédant sans pause à une sonate de jeunesse (op 2 n°2) nous est révélé un Beethoven de maturité (op 27, n° 13 « quasi una fantasia ») dont les quatre mouvements enchainés vont marquer notre écoute. Ceux-ci ne s’écoulent pas dans un flux horizontal de notes qui apparaissent et s’éteignent mais comme un tout architecturé, visible, un ensemble homogène dont nous ne perdons pas le fil. Si on devait isoler une seule des grandeurs sokoloviennes, on soulignerait cette capacité assez surnaturelle de transmuer la matière sonore, par essence invisible et immatérielle, en un matériau concret, définissable, perceptible par tous les sens.

Les années précédentes, dans certains Schubert ( D 959, D 960) Sokolov semblait vouloir atteindre un angoissant point de rupture sonore comme émotionnel qui nous est ici épargné. La sonate n°19 D 850 est un des derniers témoignages de simple bonheur d’un Schubert aux portes d’une détresse prochaine. Comme improvisé, sous les doigts de Sokolov, un flot ininterrompu de timbres, de couleurs nourrissent la poésie d’une œuvre libre de formalisme, exubérante. De l’écoute enchantée à l’émotion la plus simple…ce Schubert nous sera inoubliable. Le silence avant l’ovation sera encore du Schubert.

Adepte des bis en série, l’austère Grigory Sokolov finira de combler un public radieux par un Rameau, quatre Chopin, un Scriabine irrésistibles.

Inclassable Sokolov, qui une dernière fois salut un monde auquel il semble totalement étranger et pourtant auquel il vient d’offrir un bonheur musical sans pareil.
Cet homme n’est pas un musicien, c’est une œuvre d’art.

Gérard Abrial
www.easyclassic.com

© Easyclassic - 17/08/2009