Festival de la Roque 2006 Temps forts
La répétition que je désire évoquer ci-dessous s’entendra, non dans le sens de ce qui se prépare, mais de ce qui se reproduit. Le fidèle mélomane de la Roque aura observé qu’il n’est pas rare que deux œuvres identiques soient reprises dans la même saison (ex : Sonate D 956 de Schubert par Kovacevitch le 17, le 19 par Zacharias) Ces « collisions » sont en ce qui me concerne les moments les plus passionnants du festival et une des approches les plus excitantes de la musique. Et dans ces lignes, l’occasion d’aborder brièvement le sujet de l’interprétation. Tout dans notre société porte à la compétition, incite à distribuer l’or, l’argent (avec parcimonie.. !) ou le bronze. La musique vivante ou enregistrée n’est pas une épreuve sportive. Quoi de plus regrettable que la notion de « version de référence » qui lie irrémédiablement l’œuvre X à l’artiste Y et ce faisant, pourrait nous rendre toute autre approche déconcertante ? Un mélomane à qui, récemment, je demandais avec insistance pourquoi il était si convaincu que « son » Carnaval de Schumann (160 versions disponibles !) était la version « définitive », finit par me répondre « Et de plus, c’est un cadeau de ma fille.. ! » Ce mélomane, outre qu’il aura figé cette œuvre, aura aussi inversé caractère immuable du texte et caractère temporel de son interprétation...
Une partition est un paysage vu par des regards différents et c’est là tout l’intérêt d’une écoute relative, inévitablement subjective. Encore faut-il qu’elle soit « bienveillante ». Ecouter plusieurs versions d’une même œuvre est une leçon de tolérance. Dans la profondeur d’un simple prélude de Bach, il est bien naturel que chaque artiste confronte sa sensibilité au texte et que nous, confrontions la notre à la restitution de celui-ci. Au fil d’une vie de mélomane, il est bien naturel aussi que de nouvelles découvertes interprétatives viennent croiser nos disponibilités émotionnelles souvent évolutives. C’est tout l’intérêt d’un festival dédié au piano tel celui de la Roque. Outre nous révéler des œuvres, il nous donne l’opportunité de réentendre ces grandes pages que nous croyons parfois connaître par cœur. Et sous des doigts si différents et inspirés, celles-ci vont nous apparaître comme revivifiées, renouvelées, enrichies.
Quand la musique qu’on entend pourrait ne pas être celle qu’on attend…
Ps : On se souvient de ce mot un rien provocateur de Glenn Gould : « Je me refuse à penser que l’acte recréateur soit inférieur à l’acte créateur. » Un autre débat…
© Easyclassic - 17/08/2006
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