Festival de la Roque d’Anthéron 25 juillet 2011
La tranquille fragilité d’Alexandre Tharaud
Tout à fait à l’opposé des forces tranquilles, éclatantes et musculeuses d’un Boris Berezowski ou d’un Yefim Bronfman, Alexandre Tharaud poursuit une magnifique carrière toute en sobriété, infinie discrétion, demi-jours et clairs-obscurs. Au fil des ans, ce pianiste à la frêle et raide silhouette, toujours de noir vêtu, est devenu une référence dans l’interprétation de Bach, Couperin, Rameau, Scarlatti et plus récemment Chabrier, Chopin et Ravel. Autant d’enregistrements acclamés par la presse soulignant l’esprit et la lettre de ces interprétations qui font entendre une voix originale, singulière, attachante.
Pour preuve, si on a croisé des Cortophobes, des Polliniphobes, des Kissinophobes, on ne connaît que des Tharauphiles. Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans un répertoire (Bach, Scarlatti…) qui aura eu comme effet (et ce n’est pas le moindre…) d’attirer un public néophyte, Alexandre Tharaud échappe à cette étiquette en mettant à son programme ce 25 juillet les Bagatelles opus 33, la Fantaisie op 77 et la sonate op 109 de Beethoven.
Un a priori sans fondement nous vient à l’esprit : « Ce Beethoven… ? Est-il bien dans les cordes du Steinway de cet artiste dont nous connaissons si bien le caractère musical ? » A la dernière mesure de la sonate n°30, on applaudit de bon cœur cette interprétation sur tous les plans et étymologiquement sans péchés, donc « impeccable. » Objectivité, franchise, expressivité, spontanéité, clarté du discours, phrasés d’une grande pureté…soit… mais ces vertus sont-elles « beethoveniennes ? » Dynamique, substance et densité sonores sont elles ici suffisantes pour exprimer les emportements, les éclats, les contrastes, la puissance de conception, le dolorisme et parfois la « déraison » qui font la matière de cette œuvre, son principe actif ? Nous avons trop été nourris par la vision de Richter, de Guilels, de Gould même pour adhérer à celle d’Alexandre Tharaud, même si cette esthétique, loin de toute déficience, est à chaque note délibérée et assumée.
Mais à peine ces réflexions entamées, au déclin du jour, se font entendre les premières notes des Scarlatti les plus rayonnants qui soient. On n’ajoutera rien aux superlatifs unanimement accolés à cette interprétation mais on soulignera ce qui selon nous fait en un mot l’immense talent d’Alexandre Tharaud : son « esprit. » Totalement affranchi des difficultés purement pianistiques, notre artiste multiplie les couleurs, décuple les nuances, enrichit les timbres de son instrument jusqu’à saturation. Subtil, espiègle, grave, élégiaque, primesautier…Alexandre Tharaud nous dit mille et une choses, sur tous les tons, parfois en confidence, parfois à voix haute. Chaque note nous touche, souvent nous amuse, nous émeut parfois, nous ravit toujours.
Dix sonates de Scarlatti, en bis une valse de Chopin et le « Tic-toc-choc » de Couperin (*) …rien que du bonheur…
Gérard Abrial pour easyclassic.com
(*) Sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=0D_r99frBNc
© Easyclassic - 26/07/2011
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