Festival de Piano de la Roque d’Anthéron 27 juillet 2013 Récital de Grigory Sokolov
F.Schubert 4 Impromptus op 90 D 889
3 Klavierstücke D 946
L.van Beethoven
Sonate n°29 « Hammerklavier »
Aveu d’un sokololâtre lucide.
La première apparition de Grigory Sokolov au festival de La Roque (Lourmarin juillet 2002) a suscité un choc parmi les mélomanes les plus passionnés. Depuis, une secte a vu le jour, celle des sokolophiles. A celle-ci le soussigné, avoue son inconditionnelle appartenance. Non content d’être présent au rendez-vous annuel dans le cadre du festival, celui-ci rconnaît avoir aussi cédé à cette addiction musicale en se rendant à Paris, Lyon, Genève pour entendre la messe sokolovienne. Espoir de percer les mystères d’un homme protégé tel le trésor des De Beers ? Aucun
Au fil des ans, le prosélyte s’est mué en idolâtre. Aussi, la moindre réserve émise sur le génie
de l’artiste provoque une réaction des plus intolérantes. Au : « Sokolov ne fait-il pas du Sokolov ? » nous répondons : « Oui…Sokolov fait du Sokolov… Pour le plus grand bonheur des véritables mélomanes…"
Staline n’est pas loin. Rideau, point barre…
Jacques Drillon du Nouvel Obs, plume parmi les plus féroces, a écrit : « Grigory Sokolov est le plus grand pianiste vivant au monde. »
Qui peut se donner le ridicule de contester cette affirmation?
Le jeu de Sokolov, puissant, affirmé, impérieux, est avant tout libre de toutes références au passé comme au présent.
Ne s’inspirant d’aucune école, ne se réclamant d’aucun modèle, ne s’autorisant que de lui-même, bien qu’absolument fidèle à ses partitions, Sokolov est seul dans son monde, pour toujours « différent ». D’Horowitz, Rubinstein disait : « Il n’est pas le plus grand, il est le seul… » Similitude…?
Au sommet des talents prodigieux de l’artiste russe réside sa capacité à bâtir ses œuvres dans une architecture rigoureuse qui, au fil de son jeu, révèle l'emmergence de l’ensemble de celles-ci, évitant la sensation d’un égrenage de notes, parfois d’une dactylographie musicale.
C’est donc avec fébrilité que nous allâmes à notre séance d’idolâtrie annuelle.
Mais, après quelques mesures du 1er Impromptu de l’opus 90 de Schubert et quasiment jusqu’aux ultimes notes du 4 eme, une question non sollicitée vint nous tarauder:
« Qu’entendons-nous : le tellurisme d’une Mazeppa de Liszt ? La puissance évocatrice de la 8 eme sonate de Prokofiev ? » (exagération délibérée.. !) « De quel Schubert Grigory Sokolov nous parle-t-il ? » Car « notre » Schubert, notamment celui du 3 eme Impromptu, nous le portons en nous tout de tendresse, humble, fragile, modeste. Une musique « infusée. » En un mot : une prière.
Nourri aux versions Brendel ( n°2, 1988) Radu Lupu et surtout Zacharias*
(toutes différentes mais constamment « schubertiennes » selon notre sensibilité)
la version de Sokolov nous dérange et nous déçoit. La « force architecturale. » étouffe la confidence et ici, ne s’impose pas. Pourquoi, d’une part ces embardées sonores, ces coups de boutoir, ces contrastes et, d’autre part, ces pianissimo qui ne s’abandonnent pas, ces murmures à peine insinués ? Tout ceci est d’autant plus étrange que, dans son interprétation de la dernière sonate du même Schubert (D 960-2003) Sokolov nous bouleverse. De la détresse schubertienne, de sa « spiritualité » le musicien pourtant n’ignore rien.
La sonate « Hammerklavier » n°29 de Beethoven n’est pas une des œuvres parmi les plus accueillantes qui soient. Longue, complexe, nourrie de tensions, héroïque, inquiétante « ..musique qui émerge lentement du néant…(R.de Candé) elle est d’une exigence absolue. Peu de pianistes s’y risquent sans une solide conviction.
La vaste fugue à trois voix qui conclut ce monument décourage les plus intrépides.
Ici Sokolov règne en maître. Virtuose incomparable, technicien hors-pair, expressif au-delà du concevable, il vient à la suite d’un Guilels flamboyant ou d’un Richter incendiaire.
En cadeau, cinq « Rameau » et un Intermezzi op 117 de Brahms plus tard, Grigory Sokolov qui jamais ne sourit, quitte la scène, automate voûté,massif et impassible.
Dans ce monde mais pas de ce monde…
Gérard Abrial
www.aesyclassic.com
• Coffret 5 cd recommandé
© Easyclassic - 29/07/2013
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