La Roque 2/8/2004 Grigory Sokolov
Au sixième bis, après un récital de plus de deux heures, Grigory Sokolov prend congé d’un public ruisselant de bonheur et de ferveur. La foule se précipite dans la nuit pour reprendre des esprits abandonnés à l’hypnose d’un temps mis en suspens.
21h20 ce 2 août. Un homme en frac, le visage sévère, entame la partita n° 6 de JS Bach. Aux premiers accords, la cause est entendue.
Ceux qui tentent de résister au torrent Sokolov, de s’interroger sur la validité des partis pris interprétatifs du russe qui jamais ne sourit, ont abdiqué. Loin des versions extrêmes Gould ou Pérahia, Sokolov livre un Bach solide, dense, aux contours nets, sans romantisme ni accents baroques appuyés, sans référence au clavecin ni à l’orgue ( Fantaisie et Fugue BWV 904). Le piano dans toute sa majesté. Du Sokolov.
23h. Beethoven, sonate n°11. Cette œuvre qui s'inspire de Haydn et Mozart ne sera qu’une mise en condition avant l’instant tant attendu, la prise d’assaut par Sokolov de la sonate n°32, monument beethovénien qui n’admet que les sur-interprétateurs. Dans la Pastorale édition 2003, l’homme tombé d’une autre planète, avait heurté par des véhémences sonores parfois dérangeantes. Mais, les deux mouvements de l’opus 111 furent à nouveau une expérience hypnotique quasi mystique. Il suffit d’entendre les incandescences poétiques des variations de l’Arietta, l’émotion audible du public, pour se convaincre que les hauteurs de vue de Sokolov seront des offrandes inoubliables.
Si on devait isoler une seule des grandeurs sokoloviennes, on soulignerait cette capacité assez surnaturelle de transmuer la matière sonore, par essence invisible et immatérielle, en un matériau concret, définissable, perceptible pour tous les sens.
Pour autant, tout cela n’est-il pas une grande démonstration pianistique ? Sokolov ne fait-il pas du Sokolov ? Pour deux raisons évidentes…non. Sous cette technique infaillible, pas une note n’est privée de sens, qu’on approuve ce sens ou pas, qu’on l’adopte ou qu’on le rejette. Et par ailleurs, il n’échappe pas au public le moins averti que, jamais, ce pianiste, qui semble parfois atteindre le point de rupture sonore comme émotionnel, ne cherche à subjuguer. Homme qui ne fait pas mystères de ses visions, il rayonne dans des régions métaphysiques et lui emboîter le pas est comme une évidence.
Dans le chaudron de Lourmarin, dans une macération commune, à minuit, tout ne fut que clameurs.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 03/08/2004
|