Festival de La Roque 2006 Temps forts
Il n’est pas tombé du ciel comme un météore. Avant de rejoindre la terre, il aura fait quelques pauses. A la première, il a croisé Samson François qui lui a glissé des conseils à l’oreille. Puis, il s’est arrêté sur le nuage de Heinrich Neuhaus pour une confidence. De là, entre deux nimbus, il s’est fait adouber par Wilhelm Backhaus. Richter, l’arrêtant avant son atterrissage lui a donné l’accolade, rejoint par Horowitz et Rubinstein. Avec des parrains de cette qualité, on a moins de doutes !
Quand à 8 ans, les pieds sur terre, Jean-Fréderic Neuburger (J-FN pour la suite) poussa la porte du conservatoire de Paris, on s’étonna de ses dons… ! A 14 ans, il sera musicien, à 16, il enregistre les Etudes de Chopin, à 18, il est dans la force de l’âge et joue ici même en 2005 Clémenti, Liszt, Granados. Ovations.
J-F N a aujourd’hui 20 ans et c’est une sorte de phénomène. Son talent, il l’explique modestement par une mémoire efficace et des « prédispositions techniques » : ce qui n’éclaire en rien sa stupéfiante maturité.
Quand ce 7 août à 22 heures, il entre en scène, second pianiste de la nuit Chopin, aux premiers accords, on perçoit sans hésitation que c’est un déjà grand maître qui nous parle. Autorité sur le clavier, caractère trempé traduit par des doigts extraordinairement mobiles, mise en place impeccable… en vain chercherait-on la faille.
Les deux premières Polonaises de l’opus 26 donnent le ton. Ce n’est pas un Chopin attendu que le jeune virtuose nous propose. « Sa » mélancolie chopinienne se pare toujours d’un caractère étrange, parfois inquiétant. Le sentiment folklorique cède rapidement le pas à des accents très personnels, complexes qu’on retrouve dans les Mazurkas de l’opus 17, les rares Nouvelles Etudes et les Ecossaises op.72.
Mais c’est dans la forme développée que le héros de cette soirée va nous éblouir.
Un effet de loupe sur le finale, presto ma non tropo de la sonate op. 58 suffira, si besoin est, de prendre la dimension de la personnalité de J-F N. Effacé le Chopin chétif et maniéré. Nous sommes là dans l’expression d’une mâle énergie, d’une puissance expressive bouillonnante, d’une jubilation solaire qui anticipe Beethoven. Tout ceci est magnifiquement traduit dans de longs phrasés, dans une diction puissante (un instant brouillonne) et une tension continue. On aura du mal à reconnaître dans le pianiste gauche et myope, à la démarche peu assurée, au sourire contraint et timide, un peu lunaire, celui qui vient de nous donner ce Chopin de très haut vol.
Jean-Fréderic Neuburger est un musicien en pleine possession de ses moyens qu’on ne peut plus, à cet instant, considérer sous l’angle de son seul âge.
Une part de sa personne (cela rassure notre cartésianisme) appartient à un autre monde, celui de ses illustres parrains perchés sur leurs hauteurs. L’autre part est là, tangible, volontaire, passionnée, totalement immergée dans la musique.
La musique, cet art qui nourrit les artistes monomaniaques et récompense les auditeurs mélomaniaques.
Gérard Abrial
© Easyclassic - 10/08/2006
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