La Roque Intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov
A l’heure du concert, qu’éprouvons-nous ? Nos émotions ou notre raison ? Les effets de la musique ou bien l’écoute « objective » de celle-ci ? Sommes-nous des auditeurs « libres » ou sommes nous sous influence ?
Voici quelques questions qui se rapportent à un des plus grands malentendus, stricto sensu, entre le public et ce que nous nommerons les « instances musicales » (critiques, musicologues, enseignants…) Donnons la parole aux détracteurs de Rachmaninov.
Prokofiev le tenait en piètre estime, Arrau le détestait, Brendel et Pollini toujours l’on ignoré. Marc Honegger, dans son histoire de la musique lui accorde moins de lignes qu’à l’infréquenté Rabaud, son exact contemporain. Quant à Alfred Einstein dans sa « Musique romantique », il évoque Pergolèse ( !) mais pas l’auteur des Etudes-Tableaux. Mais le plus grand adversaire de Rachmaninov fut la rumeur, celle qui courut de son vivant et qui ne s’atténua que depuis peu.
On reprocha à ce Nabokov de la musique (l’exil, la Suisse, les nerfs…) des pages d’un romantisme décati à l’heure de Pélleas et du premier Schoenberg tout brocardant sa dévotion autiste envers le système tonal. Mais surtout, il fut longtemps du dernier mauvais goût d’approuver ses mélodies jugées larmoyantes, ses doubles-croches répandues sans pudeur, sa mélancolie cafardeuse de Buster Keaton du clavier. Et que n’a-t-on pas méchamment dénigré l’engouement « populaire » pour ses concertos, leur exploitation comme musique de pubs, indicatifs télé et l’identification instantanée que peut en faire le mortel commun.
Que réplique la défense, les interprètes d’abord, les Pletnev, Ove-Andsnes Kocsis, Ashkenazy, Grimaud, Argerich, Lugansky, Berezovsky pour ne citer que quelques fidèles de la Roque… ?
Sabre au clair, ont-ils compromis réputation et talent en jouant Serge Rachmaninov ? Il y bien longtemps qu’on ne le donne plus comme le faisait quelques anciens qui, croyant le célébrer, l’auront joué « rubato » jusqu’à la nausée, l’éclairant d’un fluo hollywoodien kitchissime. A contrario de cette mauvaise manière, il est passionnant d’entendre à quel le point le compositeur, dans ses propres œuvres, évitait tout sentimentalisme au profit d’une conception assez altière, puritaine a-t-on dit.
Virtuose parmi les plus grands virtuoses de tous les temps, à l’égal d’un Liszt ou d’un Busoni, Rachmaninov subjuguait les foules, son style étant plus proche du pinceau de Giacometti que de celui de Botero.
Puis, vinrent à son secours, les « nouveaux » musicologues, les Vignal, Slonimski et même le « New Grove Dictionnary» qui le réhabilitent désormais sans honte. Et, au fil des biographies, on apprend de surcroît que l’homme était d’une bonté et d’une modestie infinies, un anti-Wagner pour tout dire ce qui n’est pas rien dans le sentiment qu’on éprouve pour un univers artistique.
Mais le « grand public » n’a cure des modes et c’est là l’essentiel.
Nous aimons cette musique qui « venue du cœur retourne au cœur » comme l’écrit J.E Fousnaquer.
Ainsi, faudra t’il se pencher sur sa musique vocale (les Cloches, Les Vêpres, la Liturgie…) et celle de chambre avec les trios et la sonate pour violoncelle et piano.
Bien évidemment, on fera son miel des pages pour piano seul. Elles grisent l’âme, leur lyrisme parfois lancinant pénètre les cœurs les plus secs, leur capacité à engendrer des émotions est incomparable. Qui reprend ses esprits pourra les juger parfois inégales, facilement séduisantes. Mais, à l’heure du plaisir, garder ses esprits ou pire les reprendre…n’est-ce pas le moins beau cadeau qu’on puisse faire à soi-même ?
Boris Berezowsky au disque : Concerto pour piano n° 3 direction Eliahu Inbal. Teldec classique; ASIN : B00004VLSV
© Easyclassic - 21/08/2005
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