Février 2012 Opéra de Marseille
La saison 2012 de l’opéra de Marseille propose 7 œuvres, entre bel canto, vérisme, partitions du grand répertoire et une création : la Chartreuse de Parme d’Henri Sauguet…Qui connait cette œuvre ? Hormis quelques « lyricomanes »…personne. La programmer dans un contexte financier fragile est acte courageux. Mais, Maurice Xiberras, directeur de cette vénérable maison, misa sur l’instinct de découverte de son public. Il eut raison, on joua à guichets fermés.
Quel que soit son appréciation, l’amateur aura enrichi son répertoire, d’autant plus qu’il n’existe aucun enregistrement de cette œuvre.
Tour à tour, artiste lyrique, directrice d’importantes maisons, dont celle de Marseille, Renée Auphan démontre un goût très sûr pour la mise en scène. Sa maîtrise de l’œuvre est irréprochable, sa direction d’acteurs, solide, cohérente, pertinente, la psychologie de ceux-ci ne laissant aucune part à l’improvisation. Son mérite aura été d’ « optimiser » une œuvre qui n’est pas, et de loin, la plus enivrante. Imaginons le sort d’Atys sans le duo Christie/Villegier…
Cette mise en scène fait écho à la justesse de la direction orchestrale de Lawrence Foster qui aura su transcender une partition loin d’être passionnante. Au chapitre des étais, des haubans et des armatures qui ont soutenu et sauvé cette création, des décors de grande classe, un chœur excellent et un plateau vocal de premier ordre qui mérite d’être détaillé.
Nathalie Manfrino campe une Clélia sensible, toute en implicite, parvenant à ne pas nous lasser de redites et autres platitudes qui parsèment ces pages.
La voix est claire, souple, riche en nuances et en pianissimo ductiles. N’ayant pas d’autre référence d’écoute, pour l’éternité, Nathalie Manfrino sera Clélia Conti.
Sébastien Guèze campe un Fabrice del Dongo méritant car surexposé tout au long des dix tableaux de cette œuvre. Certes, ce jeune ténor ne fera pas d’ombre à Jonas Kaufman mais son engagement, sa vaillance, sa stabilité vocale, un jeu de scène solide nous le rend attachant. Peut-être, lors des épisodes pathétiques auxquels il est confronté, son aimable gracilité le dessert’ il. Chérubin oui, Fidelio agrippé aux barreaux de sa geôle, pas vraiment…Marie-Ange Todorovitch (image), en femme « cougar » amoureuse d’un Fabrice qui n’a d’yeux que pour Clélia, est Gina, la « Sansevérina. » Admirable de justesse psychologique comme vocale, sa détresse ( acte IV, tableau 8) sans emphase, la lucidité de son état, la force intériorisée de son chant resteront comme le temps fort de cette œuvre. Amoureux de Gina Mosca-Nicolas Cavallier, démontre une fois encore l’étendue de ses grands talents avec naturel, sobriété et un pouvoir de séduction indéniable.
Dans le rôle du Général, Jean-Philippe Lafont, père de Clélia, tout à fait crédible dans cette composition, possède toujours ce charisme physique indéniable, mais il souffre d’une émission vocale souvent forcée, laborieuse.
En résumé, voici donc réunies, d’une part, les meilleures volontés, les talents les plus confirmés, et d’autre part une œuvre dont l’oubli ne relève pas d’une injustice.
Comment ne pas être déçu par un livret qui souvent se désunit, souffre d’une prosodie hasardeuse et souvent sombre dans le truisme : « Le bonheur n’est pas d’ici bas (…) et toujours à la fin, c’est la mort qui nous frappe » (Clélia, tableau 9) Mais plus ennuyeux, voici une versification qui souvent, entre prose et vers « ne rime à rien ». Autre défaut majeur, la crédibilité des situations psychologiques, notamment celles qui intéresse la relation entre Clélia et Fabrice. Voici nos futurs tourtereaux. Ils se rencontrent furtivement, le temps de quelques regards au début de l’œuvre lors d’une scène inspirée d’une fuite à Varennes aux effluves offenbachiennes. Leurs chemins ne se croiseront plus pendant quatre longs tableaux. Puis, soudainement, les voici se déclarer leur flamme, malgré de sérieux handicaps et autres sacrifices ( rien d’étonnant, à l’opéra les amours « simples » n’existent pas..) Se seraient’ils fréquentés hors de notre vue, derrière le rideau de scène.. ?
Quant à l’ « architecture » de l’œuvre, elle porte le poids de ses nombreux remaniements, de ses maints repentirs, de ses coupes drastiques. Mais aussi du déséquilibre entre les deux premiers tiers de l’œuvre, plutôt en demi-teintes et l’enchainement des trois derniers tableaux de l’acte 4, dramatiquement très intenses. Le dernier, dit « du sermon aux lumières » pâtit d’un dolorisme outré, d’une emphase pesante. Plus un pensum qu’un sermon.
Cette production nécessite un référendum: proposer une unième Traviata, méridienne en velours rouge et inévitables plantes exotiques ou exhumer une œuvre mineure mais portée à bout de bras par une concentration des talents les plus rigoureux, les plus passionnés ?
Selon nous, sans hésiter…oui aux découvertes, oui aux audaces, oui à la diversité. A l’opposé d’un mol et positif consensus, voici une œuvre sujette à débat…controverse…polémique, querelle…
L’opéra le plus vivant, souvent, ne se joue t’il pas « hors scène ? »
Gérard Abrial
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© Easyclassic - 12/02/2012
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