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Marseille-Criée- Récital Grigory Sokolov juillet 2013

Aix GTP août 2012 Ce que nous disions....

Pas le plus grand, mais le seul…
Ce mot attribué à Arthur Rubinstein évoquant Horowitz m’est venu à l’esprit lors de la première apparition de Grigory Sokolov, à la Roque voici plus de 10 ans.
Rétif aux concerts en plein-air, à ses débuts au festival de la Roque, le musicien russe dispensait son sermon à Lourmarin, dans un temple au confort digne d’un commissariat albanais des années 60, par une température égale à celle de la fournaise sub-saharienne.
Malgré ces conditions d’extrême inconfort, nous les « sokololâtres » de la première heure, en mêlant nos sudations et nos ferveurs, nous éprouvions un grand bonheur : celui d’être, tels les apôtres, conviés à la table du grand prêtre. Depuis 2008, le Grand Théâtre de Provence, sa belle architecture, sa clim, ses fauteuils onctueux, accueille désormais les « sokolophiles », catégorie respectable mais qui se situera toujours un degré au-dessous de la notre, celle des pionniers lourmarinois.

Plus sérieusement…
. En plus de 10 ans de comptes-rendus rédigés à la suite des récitals de Grigory Sokolov, nous avons épuisé tous les superlatifs contenus dans le Larousse. Pour autant, l’inconditionnel que je suis n’est pas sourd aux critiques des « sokolophobes ».
Que disent’ ils : .
« Sokolov fait du Sokolov.. »
. Que répondons-nous ? .
« Oui…Sokolov fait du Sokolov… Pour notre grand bonheur…"
Si l’objection est tout à fait recevable, pour autant, nous ne l’entendons pas négativement.
Sacrilège ? Impiété ? Sokolov prend t’il des libertés avec sa partition ?
Non. A l’ « urtext », c'est-à-dire à la source, il est d’une absolue fidélité.
Glenn Gould, qui s’y connaissait en terme de marginalité, muni de sa candide suffisance, proclamait :
« Je me refuse de penser que l’acte recréateur soit différent de l’acte créateur ». « Et surement pas inférieur… » aurait’ il pu poursuivre.
En clair, quand les moyens artistiques et spirituels le permettent, la « voix » qui donne à entendre l’œuvre vaut autant que celle-ci. Une brève liste de ces génies : Liszt, Busoni, Saint-Saëns, Rachmaninov, Horowitz, Gulda, Gould et… Sokolov.
Celui-ci, affranchi d’une quelconque « concurrence », se montre totalement désinhibé par rapport à d’autres musiciens ou inspirateurs.

En premier acte de ce programme, voici Rameau et sa Suite en ré. Le parti-pris de Sokolov ne fait pas de mystère. Baroque, no…
Loin de surarticuler, de faire sonner son piano tel un clavecin, instrument pour lequel ces partitions ont été écrites, le pianiste russe exploite à fond les ressources de son Steinway multipliant les climats, les couleurs et les timbres, les accents et les contrastes. En somme, un anti Gould, lequel déclarait : « Je fais tinter mon piano comme un clavecin émasculé… » Puis vint une sonate de Mozart, la K. 310.
Que dire… ? Cette œuvre, des plus rebattues, nous l’attendons sans curiosité. Mais, dès les premières mesures de l’allegro maestoso, Sokolov nous livre un Mozart cursif, direct, sans manière, ni (horreur.. !) la moindre affectation.
La concentration sonore, un phrasé d’une admirable fluidité, la clarté du discours, la richesse des clairs-obscurs, les accents parfois dramatiques alternant avec de subites éclaircies, vont nous tenir en haleine et nous émouvoir comme si cette K.310 venait à nous pour la première fois.
Mais, hostile au classement et autres palmarès, mes versions Barenboïm, Uchida ou Zacharias, ne prendrons pas la poussière. Avec celle de Sokolov, la frustration mozartienne ne me menace pas.
On imagine la somme de travail que, depuis toujours, Sokolov l’intransigeant s’impose.Vertigineux…

A la suite des Variations sur un thème de Handel signés Brahms, Sokolov joua les 3 intermezzi de l’opus 117 de ce même compositeur.
Œuvres de fin de vie, ces pièces sont résolument élégiaques, nimbées des brumes du nord, un ADN typiquement brahmsien. Ici, la puissance évocatrice de Sokolov est simplement sidérante. Aux versions habituelles, généralement intimistes, elliptiques, fugaces, l’insaisissable musicien transmue ces 3 pièces de courtes durées (5’-5’-6’) en trois blocs de la plus haute carrure. La matière sonore est ample, compacte, minérale. Ce qui se dit est profond, dramatique, dense. Quand ses confrères arpentent un parcours simplement vallonné, Sokolov, lui, défie des sommets de haute montagne. Son Brahms, ainsi traité, ne sonne t’il pas grandiloquent, épais, massif (déjà que…) ? A chacun d’en juger. Tout comme pour le tempo du K.310 de Mozart, Sokolov s’aventure dans des univers différents et ce que son Brahms perd en intimité, il le gagne en rayonnement sonore comme en expressivité.
Au terme de son récital, Sokolov sacrifie au rituel des 5 ou 6 bis offerts à un public subjugué.
Du bis n° 3, le prélude n°4 de l’opus 28 de Chopin, je n’ai qu’un mot qui me vient à l’esprit: ineffable.
Le musicien disparaît, emportant avec lui son génie et ses mystères.
Grigory Sokolov est dans ce monde, mais pas de ce monde.

Gérard Abrial

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© Easyclassic - 25/07/2013